Harpur et Iles (10) : Retour après la nuit, de Bill James

Publié le par Yan

« Lorsqu’elle fut assassinée de trois coups de couteaux dans la poitrine sur un parking de gare, Megan Harpur rentrait chez elle dire à son mari qu’elle le quittait pour un autre homme. »

Ainsi s’ouvre ce dixième volume consacré à Colin Harpur et son chef, Desmond Iles. Le meurtre de Megan Harpur sera bien entendu au centre de ce roman dans lequel Bill James décide d’utiliser un nouveau type de narration qui alterne les chapitres qui remontent à contretemps la journée de la femme de l’inspecteur depuis son assassinat, et ceux consacrés à l’enquête et surtout au deuil d’Harpur. Moins que la recherche du coupable, ce à quoi s’intéresse ici Bill James c’est la mort progressive du couple formé par Megan et Colin que cet acte de violence, en fin de compte, vient parachever symboliquement. Reste à Harpur et à ses deux filles adolescentes, non pas à gérer l’absence de Megan, mais le fardeau des reproches que tous peuvent se faire maintenant qu’il n’est plus besoin de faire comme si de rien n’était.

De fait, les infidélités d’Harpur et de sa femme, n’éclatent pas stricto sensu, au grand jour, puisque tout le monde, y compris leurs filles, était au courant.Mais le fait qu’elles soient enfin actées rend d’autant plus pathétique leur histoire. Et l’agitation créée par l’enquête et les obsèques vient encore ajouter au tragique et, parfois, au ridicule. Déterminé à retrouver l’assassin de sa femme comme pour tenter de donner à cette dernière une ultime preuve de l’amour qu’il a pu éprouver pour elle, Colin Harpur doit cependant composer avec l’attitude erratique de ses filles, l’immixtion d’Iles dans sa vie privée, et Denise, sa jeune maîtresse qui veut autant le consoler que se sentir protéger.

Bill James, par le biais de cette enquête lente qui touche à l’intimité de l’un de ses héros principaux met en place un roman intimiste où la tendresse réelle qu’il éprouve de toute évidence pour ses personnages n’empêche pas à leur égard une forme de cruelle lucidité : ils ne sont que des femmes et des hommes comme les autres quand bien même ils sont confrontés à des événements exceptionnels et se révèlent souvent médiocres sur le plan humain. Quant au deuil, il n’efface ni l’égoïsme, ni les jeux de pouvoirs et ravive même certaines tensions. Comme toujours, les dialogues, les confrontations entre Iles et Harpur ou entre ce dernier et son indic, Jack Lamb, sont des monuments de cynisme et de mesquinerie que vient parfois polir une velléité chez l’un ou l’autre d’exprimer de la compassion ou simplement un peu d’amitié à l’égard de son interlocuteur.

Une fois de plus on est impressionné par la cohérence du monde que créé Bill James en avançant dans sa série, par la manière dont des graines semées dans l’un ou l’autre des volumes se mettent à pousser deux, ou trois romans plus tard. Et puis on rit, ou plutôt on ricane, et même jaune souvent, alors que l’on perçoit de plus en plus la vision pessimiste pour ne pas dire désespérée qu’a James de l’espèce humaine. Retour après la nuit n’est donc pas le plus joyeux des romans de la série, mais il est certainement celui qui met le plus à nu ses personnages avec une appréciable élégance dans le cynisme.

Bill James, Retour après la nuit (Roses, Roses, 1993), Rivages/Noir, 1998. Traduit par Danièle et Pierre Bondil. 351 p.

Du même auteur sur ce blog : Raid sur la ville ; Lolita Man ; Le cortège du souvenir ; Protection ; Franc-jeu ; Sans états d’âme ; Club ; À cheval sur une tombe ; Question d’éthique ; En de bonnes mains ;

Publié dans Noir britannique

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