Un très honnête bandit, d’Antoine Albertini

Publié le par Yan

Chì tomba u ghjacaru, tomba l’omu. Qui tue le chien, tue son maître.

À Muratello, près de Porto-Vecchio, un jour de 1882, le chien des Tafani est retrouvé mortellement blessé, éventré. L’hypothèse d’une bagarre avec un autre chien ou d’une attaque de sanglier est vite écartée. Tout aussi rapidement, des hommes sont suspectés : les Rocchini, un autre clan avec lesquels les Tafani sont en conflit depuis des générations. Cela n’a fait que s’aggraver lorsque les Tafani et les Rocchini ont soutenu des candidats différents aux élections, bonapartistes pour les premiers, républicains pour les autres. L’engrenage est lancé. Quelques mois plus tard, Jean-François Rocchini, est assassiné. Un an plus tard, Xavier Rocchini, plus jeune fils de Jean-François, tend un guet-apens à Simon Tafani, 19 ans, et l’abat avant de prendre le maquis. Depuis un an, un étrange gendarme est arrivé à la caserne d’Ajaccio. Victor Franchi est là pour traquer les bandits et il est aussi efficace que redoutable.

Alors que mois après mois, année après année, Franchi étoffe son tableau de chasse, Xavier Rocchini, lui, multiplie les associations avec les pires bandits du maquis, s’enfonce dans une forme de sauvagerie alimentée par le désir de vengeance et une forme de sentiment de toute puissance. Il gagne le surnom d’Animali, la Bête.

Telle est l’histoire vraie qu’Antoine Albertini voulait raconter depuis des années. Auteur d’enquêtes journalistiques et de romans noirs, il vient puiser à ces deux sources pour nous proposer ce récit romanesque dense, épique et sombre. On pense nécessairement aux Orphelins de Dieu de Marc Biancarelli et, disons-le tout de suite, Antoine Albertini soutient parfaitement la comparaison.

Comme chez Biancarelli et, d’une certaine manière comme dans ces propres ouvrages précédents, l’auteur entreprend de démonter le mythe des bandits d’honneurs et offre dans le même temps une réflexion passionnante sur la question d’une violence intrinsèque à la société corse (n’est-elle pas permise en grande partie par la manière dont l’État français se refuse alors à y réglementer la possession des armes ?), sur le poids des archaïsmes d’une société insulaire qui n’arrive pas à les dépasser, peut-être aussi parce qu’ils n’ouvrent pas que sur la violence mais aussi sur des formes de solidarités essentielles à la survie dans une île rongée par la pauvreté : les Tafani, comme les Rocchini sont peut-être considérés comme des notables chez eux, ils n’en vivent pas moins tous dans une forme de précarité.

Tout cela, Antoine Albertini le dit à travers ce livre dans un style étonnant. Narrateur externe, il prend presque les habits d’un chroniqueur du temps, extrait des archives et de la littératures les stéréotypes sur la Corse et les Corses dans une langue presque surannée tout en se permettant des échappées plus sèches, une ironie mordante et des moments qui viennent flirter avec une forme de poésie. En trois grands tableaux – la vengeance qui s’assouvit, la fuite de Xavier Rocchini et son épopée crue et sauvage en même temps que la traque de Franchi et le mystère qui l’entoure, et enfin le temps de la justice et l’apparition de l’étonnant bourreau hématophobe Louis Deibler – Antoine Albertini déploie son histoire et ses grandes thématiques : le mécanisme de la vendetta, beaucoup moins simple et évident que ce que disent les stéréotypes, une western empreint d’une forme de religiosité qui nous mène de tripots en tavernes sombres, des montagnes hostiles aux vallées en passant par des grottes et des forêts avec ses desperados et son shérif mystérieux et redoutable, et enfin cette chronique judiciaire glaçante avant de devenir tragicomique avec l’apparition de Deibler qui résume avec finesse et intelligence les relations complexes qui lient l’État à cette île, si éloignés l’un de l’autre, le premier traitant la seconde avec un certain mépris, cette dernière le dédaignant en grande part.

De tout cela, donc, surgit une histoire rude, violente, parfois lyrique, toujours étonnante et, d’une manière générale, d’une formidable intelligence.

Ça sort dans une semaine, le 23 septembre, et je vous conseille de ne pas passer à côté.

Antoine Albertini, Un très honnête bandit, J.C. Lattès, 2023. 447 p.

Du même auteur sur ce blog : Malamorte ; Les Invisibles ; Banditi ;

Publié dans Western et aventures

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