Oyana, d’Éric Plamondon
Le 3 mai 2018, ETA annonce sa dissolution. 45 ans plus tôt, le 20 décembre 1973, l’organisation basque se signalait spectaculairement au monde entier en envoyant à 30 mètres dans les airs la voiture du Premier ministre franquiste Luis Carrero Blanco. Le même jour naissait Oyana, dont le père Iban, avait participé à l’organisation de cet attentat. C’est au Canada, où elle vit sous une fausse identité depuis plus de vingt ans, que la jeune fille qui rêvait de voir les baleines remonter le Saint-Laurent a vieillie, installée dans une vie confortable mais sans relief. La fin d’ETA est peut-être l’occasion de changer une nouvelle fois radicalement de vie et si ce n’est d’effacer, au moins d’estomper le mal qui a été fait.
C’est à travers les mots qu’écrit Oyana à l’homme qu’elle quitte que se dévoile peu à peu une histoire que des chapitres intercalés qui reviennent au Pays basque, ou sur son histoire – dispositif déjà utilisé par Éric Plamondon dans Taqawan – viennent encore éclairer. Mais plus encore que dans Taqawan où il sacrifiait malgré tout à une intrigue de polar assez classique qui servait de fil à son histoire, l’auteur choisit là de se concentrer sur les dilemmes intimes de son héroïne. C’est à travers elle, et à travers les sentiments qu’elle ressent et sur lesquels elle tente de poser des mots pour mieux se comprendre elle-même, qu’un récit noir et émouvant se met en place.
On ne peut que louer une fois encore la finesse avec laquelle Éric Plamondon arrive à aborder des sujets complexes, tragiques et extrêmement vifs. Ce qui se dessine derrière l’histoire d’Oyana, c’est la manière dont l’exaspération, le sentiment d’injustice, forge un engagement mais aussi celle dont une cause dévie et s’enferme dans une impasse que nulle dialectique n’arrive plus à justifier. De la geste romantique d’Iban à la fuite pathétique d’Oyana qui n’a marché dans les pas de son père que par la force des choses et des injustices subies avant de s’apercevoir qu’il n’y avait plus de héros dans son combat, mais seulement des victimes, c’est aussi un roman sur les illusions et leur perte brutale qu’écrit Éric Plamondon.
C’est peut-être en se confrontant à une réalité qui, si elle n’a plus rien d’héroïque, a pour elle de s’attacher à des sentiments vrais et le goût d’un retour vers des lieux où elle se sent profondément ancrée qu’Oyana arrivera à se réaliser enfin. À moins que, justement, cette réalité qui n’a pas à s’embarrasser de fins heureuses ne le lui refuse.
Tout cela, Éric Plamondon le dit d’une manière très émouvante, souvent dure mais en s’interdisant de se poser en juge des femmes et les hommes dont il parle. Plus épuré d’une certaine façon que Taqawan, Oyana est un roman d’une grande beauté sur l'engagement, le déracinement et l'identité.
Éric Plamondon, Oyana, Quidam, 2019. 147 p.
Du même auteur sur ce blog : Taqawan ;