Sommeil de cendres, de Xavier Boissel

Publié le par Yan

Il est évident pour l’officier de police judiciaire Michel Éperlan, en ce soir de janvier, que l’année 1974 sera une année de merde. L’enquête à laquelle il est affecté va parfaitement répondre à ce pressentiment. Le corps retrouvé au bord de l’échangeur de la porte de Bagnolet est celui de Ghislain Breil-Martel, plus ou moins étudiant, plus ou moins maoïste et fils de bonne famille. Et celui ou ceux qui l’ont tué lui en voulaient tout particulièrement, à en croire l’état du cadavre. Au même moment, une jeune femme fuit vers le sud avec un pistolet et un sac de billets et des hommes du SAC traversent la Méditerranée dans un avion affrété par le SDECE. Il pleut, Georges Pompidou va mourir, de l’argent et des hommes disparaissent et Éperlan va essayer de surnager dans le marigot où d’autres petits poissons – Lançon, Characin – barbottent tandis que les plus gros, bien qu’invisibles, observent tout cela.

Coups tordus, complots dans l’attente d’un changement imminent de pouvoir sont au menu du Sommeil de cendres de Xavier Boissel. Mais s’ils forment la trame du roman, ils n’en sont pas à proprement parler le centre. Alexia Zorn, la jeune femme en fuite, et Michel Éperlan, Müll le tueur du Service d’action civique, y sont, eux, conscients qu’ils sont trop près du tableau pour pouvoir en voir l’ensemble, et bien assez proches pour savoir qu’ils ont beaucoup à y perdre. Polar d’enquête et de poursuite, le livre de Xavier Boissel est donc surtout celui de deux personnages, Zorn et Éperlan. La première court autant après son destin qu’elle le fuit, le second semble un passager de sa propre vie sur qui tout semble glisser au moins depuis qu’il est revenu de la guerre de Corée et qui, pourtant, par la grâce d’un grain de beauté sur une photo, va aller bien plus loin que ce qu’exige sa hiérarchie. Ainsi l’enquête glisse-t-elle lentement pour le lecteur : certes, on cherche à savoir ce qui se trame du côté des barbouzes et en quoi Ghislain Breil-Martel a pu devenir si gênant, mais on s’intéresse de plus en plus à ce qui fait courir la fuyarde et le flic, à leurs ressorts intimes et à la manière dont ces deux formes de solitude vont se trouver. C’est gris, baigné à la lumière terne d’un hiver lointain, parfois réchauffé par une bande-son qui n’est pas que de la décoration ou la marotte de l’auteur, et c’est surtout, en fin de compte, un beau roman noir.

Xavier Boissel, Sommeil de cendres, 10/18, 2022. 285 p.

Publié dans Noir français

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