Harpur et Iles (2) : Lolita Man, de Bill James
Deuxième volet de la série consacrée au super-intendant Colin Harpur et au directeur adjoint Desmond Iles, Lolita Man semble aborder un thème assez redondant du roman policier, celui du tueur en série – ici pédophile, pour faire bonne mesure. Il semble, car le roman s’ouvre sur le cinquième meurtre commis par l’assassin et que la plus grande partie de l’intrigue tournera ensuite autour de la recherche d’une potentielle sixième victime enlevée. Et si Bill James commence par alterner les chapitres donnant tour à tour la parole, entre les parties consacrées au récit de l’enquête d’Harpur, à Cheryl-Ann, adolescente amoureuse d’un inconnu qu’elle surprend régulièrement à l’épier, puis à celui-ci, qui a décidé de faire d’elle sa prochaine proie, il apparaît bien vite que la traque du Lolita Man du titre est avant tout prétexte à la description des rapports de forces à l’intérieur de la police et des tourments de Colin Harpur.
Ce dernier, en effet, n’est pas épargné. Troublé par l’adolescente qu’il doit sauver, il est par ailleurs mis sur la sellette par son supérieur Desmond Iles, qui profite du fait qu’il a pour maîtresse la veuve de l’un de ses subalternes pour le pousser à exécuter quelques basses besognes politiques. Car, après n’avoir été qu’une ombre dans le premier volume de ce cycle, Iles prend ici de l’ampleur. Ambitieux, cherchant à s’assurer que le prochain chef des services de police de la ville ne lui fera pas trop d’ombre, l’enquête sur le tueur de lolitas est pour lui un moyen de placer ses pions et de chercher à éliminer d’éventuels candidats au poste de chef. Froid et cynique sur le terrain, comme lors de la découverte du cadavre de la cinquième victime (« Malheureuse pauvrette. Elle n’aurait jamais été très belle, mais quelle importance, n’est-ce pas ? On prend des risques terribles, en ayant une fille. Il en a toujours été ainsi. Il suffit de penser à Eva Braun. »), mielleux en public, Iles se révèle ici comme un manipulateur obsédé par l’idée que la police du comté – sur le territoire de laquelle deux victimes ont été retrouvées – puisse résoudre l’enquête avant ses propres services et que l’un de ses chefs soit propulsé à la tête de la police de la ville. Pour cela, il est prêt à créer une guerre des polices par ailleurs motivée aussi par le fait qu’il est protestant d’origine irlandaise, membre d’une loge orangiste, tandis que ses concurrents sont catholiques. Et il entend pour cela se servir de Harpur qu’il charge d’enquêter afin de trouver des dossiers compromettants sur ces derniers, quitte pour cela à se montrer moins actif dans son enquête.
Il découle de cela un véritable bras de fer entre les deux hommes qui rythme le roman au moins autant que la poursuite du tueur. Et si l’intrigue prétexte à ce roman reste d’une facture très classique – et même, disons-le, parfois un peu légère – Bill James en profite donc, après une mise en place efficace dans Raid sur la ville, pour étoffer ses personnages principaux et poser les jalons d’une relation conflictuelle faite aussi d’arrangements ponctuels qui formera le cœur de ce cycle romanesque. Toujours au premier plan, sa famille prenant de plus en plus de place dans l’histoire, Harpur continue de révéler des facettes de sa complexe personnalité, l’ombre d’Iles, en contrepoint, le rendant par ailleurs plus aimable – au sens qu’il est possible de l’aimer – malgré ses défauts dont l’égoïsme et l’infidélité ne sont pas les moindres.
Derrière tout cela, il y a aussi toujours le portrait d’une petite ville de province étriquée, touchée par la crise, morne et malsaine. D’une police qui ne change pas dans une société qui se transforme.
Lolita Man n’est sans doute pas le meilleur roman du cycle que Bill James consacre à Harpur et Iles, mais il est une pièce maîtresse de sa construction, un premier pivot important qui, par ailleurs, grâce au soin porté par James à la psychologie de ses personnages, se lit avec un plaisir évident.
Bill James, Lolita Man (The Lolita Man, 1986), Rivages/Noir, 2000. Traduit par Danièle et Pierre Bondil. 295 p.
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