Harpur et Iles (1) : Raid sur la ville, de Bill James
Voilà un petit moment que je ne m’étais pas lancé dans la relecture d’une série complète. Après les Parker de Richard Stark, les Dortmunder de Donald Westlake et les Hoke Moseley de Charles Willeford (dont je m’aperçois au passage que j’ai oublié le quatrième volet), place à Harpur et Iles, du gallois Bill James. Une relecture d’autant plus utile que les éditions Rivages ont publié pendant des années les romans de cette série de Bill James dans le désordre et que c’est là l’occasion de pouvoir les aborder de nouveau en mesurant l’évolution des personnages.
Raid sur la ville paraît en 1985 et est centré sur le personnage d’Harpur, Iles apparaissant à la marge. Super intendant de la police dans une ville côtière jamais nommée, Colin Harpur prépare dans ce premier roman de la série un coup de filet d’importance. Des pointures du crime londonien doivent braquer une succursale de la Lloyd’s sur le territoire d’Harpur et celui-ci, informé par Jack Lamb, un truand local, a décidé de les attendre de pied ferme. Pour cela, il a monté dans les jours précédents une équipe de choc dans laquelle il a intégré Brian Avery, non sans arrière-pensées :
« Avery était un policier au potentiel intéressant, et Mme Avery avait, elle aussi, du potentiel. Ce travail en équipe, ça vous incitait à côtoyer l’épouse et la famille d’un collègue. Les membres d’une bonne équipe devenaient très liés, se retrouvaient chez l’un ou chez l’autre, pas seulement au poste, buvaient souvent ensemble, amenant parfois leurs femmes avec eux. Il avait très envie de trouver un chemin qui le mène à Mme Avery, et s’il choisissait Brian, il serait tout tracé. »
Et, comme de bien entendu, les choses ne vont pas se passer comme prévu. Les braqueurs vont reporter leur coup, Brian Avery va vouloir faire cavalier seul et disparaître, les truands vont écumer la ville pour se débarrasser des potentiels informateurs de la police et le hold-up va finalement avoir lieu mais prendre au dépourvu l’équipe d’Harper et faire des victimes. Et Harpur va tenter de surnager dans ce chaos… tout en gardant un œil intéressé sur Mme Avery.
Bill James met ici en place ses personnages et les liens qui les unissent. Harpur avançant sur la ligne ténue qui sépare le bon flic du corrompu, qui se voudrait moralement droit mais peine à réfréner ses pulsions sexuelles, fraye avec Jack Lamb, voleur et receleur dont la réussite dans le crime lui a permis d’intégrer la bonne société locale, et ne sait comment concilier ce qu’il est et ce qu’il fait avec l’image qu’il voudrait avoir de lui-même. Jack Lamb qui montre l’assurance du truand qui a réussi mais passe son temps à regarder par-dessus son épaule avec la crainte de voir un de ceux qu’il aura dénoncé assouvir sa vengeance. Megan, la femme d’Harpur, qui tente de garder son mari dans un chemin qui soit à peu près droit et de sauver leur couple. Iles, l’adjoint au directeur de la police, soucieux d’éviter toute mauvaise publicité à son institution et prêt pour cela à basculer sporadiquement du mauvais côté.
Dans ce Raid sur la ville, Bill James installe une mécanique bien huilée et resserre peu à peu l’étau sur ses personnages, les poussent dans leurs derniers retranchements et les confrontent à leurs limites, à leurs craintes les plus intimes et à leurs défaillances. Harpur va ainsi devoir se poser des questions sur la manière dont il traite Jack Lamb, criminel de haut vol bien installé dans la société d’un côté, acceptant même de se faire manipuler par lui, et de l’autre Royston Paine, petit dealer de cité, lui aussi son informateur, mais pour lequel il éprouve un net mépris, au risque de le sacrifier à son enquête. Il devra aussi assumer ses manœuvres visant à séduire la femme d’Avery, y compris lorsque, totalement ravagée par la disparition de son époux, elle compte sur son aide.
Derrière tout cela, James, par petites touches, évoque la société des années Thatcher, les carences institutionnelles de la police et la manière dont les ambitions personnelles semblent prévaloir sur l’intérêt général. Il le fait de manière souvent abrupte, avec un cynisme consommé, un humour à froid terrible qui met en relief la terrible noirceur de son histoire.
Bill James, Raid sur la ville (You’d Better Believe it, 1985), Rivages/Noir, 2002. Traduit par Danièle et Pierre Bondil. 278 p.
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