Minuit, dernière limite, de Lee Child

Publié le par Yan

Jack Reacher, c’est un peu comme les opioïdes : on aimerait bien arrêter parce qu’on sait que ça nous fait du mal, mais on continue à chercher ce petit flash – un combat à la brosse à dents, une digression sur les protéines contenues dans un hamburger – qui nous a fait tant de bien à la première prise, même si on sait que ça sera toujours moins bon.

Justement, Lee Child a décidé de se saisir doublement de ces problèmes de santé publique. Non seulement Minuit, dernière limite aborde ce sujet brûlant du trafic d’opioïdes, mais il le fait par ailleurs avec la même monotonie que finit par provoquer l’accoutumance. La seule différence que l’on puisse voir entre l’addiction à l’oxycontin et celle à Jack Reacher, c’est que l’on est à peu près certain que même en augmentant sérieusement sa dose de Reacher, on ne retrouvera jamais le plaisir initial.

Bref, Jack Reacher a donc trouvé une chevalière de West Point dans la vitrine d’un prêteur sur gages et a décidé de retrouver sa propriétaire. Parce que jamais un soldat issu de cette prestigieuse école militaire n’irait mettre en gage cet objet à moins d’avoir de sérieux problèmes. Ceux qui en ont, dans l’immédiat, ce sont bien sûr les criminels impliqués dans ce trafic d’objets divers et, je vous le donne dans le mille, d’opioïdes. Parce qu’ils viennent d’entrer dans le collimateur de Jack Reacher qui, en plus, est de mauvaise humeur. Enfin… de mauvaise humeur… plutôt mélancolique : il a failli s’attacher à une femme, mais elle vient de partir. Alors Jack Reacher enquête pour mieux oublier mais on sent bien qu’il n’a plus tout à fait le cœur à briser des genoux ou fracasser des mâchoires. À peine trouve-t-il un peu de satisfaction en passant à tabac quelques Hell’s Angels sans même faire tomber leurs motos.

Quant à son enquête qui le mène dans le Wyoming, le moins que l’on puisse dire et qu’elle est un peu laborieuse. Et Lee Child, qui doit en vouloir pour une raison mystérieuse à ses lecteurs, a décidé de ne rien nous épargner du fastidieux travail de l’enquêteur confronté aux grands espaces d’un État sous-peuplé. Le moins que l’on puisse dire est que Jack Reacher va faire beaucoup de voiture, que les distances entre deux maisons sont particulièrement longues, surtout si on fait des aller-retours, et que les chemins ne sont pas toujours très bien entretenus. Ces considérations occupent une grande partie de Minuit, dernière limite. Heureusement, entre deux trajets et une balade en forêt durant laquelle Lee Child recopie le manuel des Castors juniors en nous expliquant que la mousse pousse normalement sur le côté du tronc des arbres orienté au nord, mais pas là parce qu’il fait trop sec, il arrive encore à Jack Reacher de menacer des gens, ce qui occupe un peu le lecteur.

Rien ne va plus, donc. On lit Jack Reacher par habitude plus que par envie et parce que ça occupe sans qu’on ait besoin de se faire des nœuds au cerveau… ou même d’avoir un cerveau, en fait. On continue de se dire qu’on va finir par arrêter mais on sait, au fond, qu’on ne le fera sûrement pas car on garde l’espoir, ténu, qu’un jour, peut-être, Lee Child retrouvera un peu de second degré et l’envie de faire plaisir à ses lecteurs.

Lee Child, Minuit, dernière limite (The Midnight Line, 2017), Calmann Levy Noir, 2021. Traduit par Elsa Maggion. 424 p.

Du même auteur sur ce blog : La faute à pas de chance ; Carmen à mort ; 61 heures ; Du fond de l'abîme ; Les caves de la Maison Blanche ; La cause était belle ; Mission confidentielle ; L’espoir fait vivre ; La cible était française ; Bienvenue à Mother’s Rest ;

Publié dans Noir britannique

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