Knockemstiff, de Donald Ray Pollock
Ça fait plus d’un an que tout le monde parle de Donald Ray Pollock et de son roman Le diable tout le temps. Pollock serait, à en croire tout ce que l’on a pu lire, le nouveau chantre de la violence en milieu rural, la nouvelle voix des white trashes après Woodrell, Crews et Cie.
C’est finalement avec Knockemstiff, recueil de nouvelles paru avant Le diable tout le temps que je rencontre Donald Ray Pollock. Et, de fait, il est clair que l’on retrouve là cette tradition des écrivains du Sud et du Midwest, de ces coins paumés et oubliés du reste du monde. Cela évoque tour à tour l’univers d’Harry Crews, de James Ross ou encore de Larry Brown. Bref, à Knockemstiff (notons que ce nom à coucher dehors est celui d’un lieu réel, une ville aujourd’hui abandonnée), Ohio, on trouve des obsédés de la gonflette prêts à mourir pour un semblant de reconnaissance, des vieux alcoolos et des jeunes accros au crystal meth… d’une manière générale des paumés pris au piège de ce marigot dans lequel stagnent les rejets du rêve américain, comme si les habitants de Knockemstiff et de tous ces patelins du trou du cul des États-Unis payaient l’addition qui permet à d’autres, sur l’une ou l’autre des côtes, de vivre de façon glamour ou de s’imposer comme la première puissance mondiale. Un décalage qui apparaît clairement dans cette nouvelle où un couple de californiens s’arrête pour prendre quelques photos des indigènes tout en s’étonnant de trouver là, dans ce pays si riche et moderne, des gens aussi pauvres et arriérés.
Et si Pollock met en scène quelques velléités de fuite, les protagonistes ne vont jamais bien loin ou on tôt fait de revenir : trop camés, trop inadaptés, ils font l’amère expérience de la terrible force d’inertie qu’entraîne le cercle vicieux de la désindustrialisation, de la religiosité tordue, du chômage…
On ne cachera pas que, après avoir lu il y a seulement quelques semaines, les Chiennes de vies de Frank Bill, le thème apparaît redondant et l’on se gardera bien de coller sur le dos de Pollock une certaine lassitude à lire ces histoires de ratages et, d’une façon plus générale, de déclin. Reste que l’auteur, à travers une écriture imagée et un ton faussement familier arrive à embarquer son lecteur dans ses récits cruels, âpres mais loin d’être dépourvus d’humour. Force est donc de reconnaitre le talent de Donald Ray Pollock et, si l’on regrettera parfois des fins un poil convenues ou bien un peu sèches (comme si l’auteur, tout à coup, entendait couper court), on ne peut que saluer sa façon de nous y plonger à chaque fois en quelques phrases bien senties.
« Tout le monde à Knockemstiff croyait que Duane sortait avec la première vraie femme de sa vie ce soir-là, mais c’était des craques. Il avait répandu la rumeur partout dans le val, puis il s’était occupé des détails majeurs au Torch Drive-in : étalé une grosse goutte de ketchup sur la banquette arrière de la Chrysler de son paternel, renversé un peu de vin sur une culotte déchirée de sa sœur ; il s’était même concocté deux suçons en se les marquant au fer sur le cou avec une petite cuiller chauffée avec son Zippo. Ensuite, il avait passé le reste de la soirée affalé comme un crapaud derrière son volant, à attendre de rentrer chez lui. Il a bu un pack de bière tiédasse et regardé Women in cages et Female Moonshiners. L’odeur de chair brûlée restait dans la voiture comme celle du pop-corn ».
Donald Ray Pollock, Knockemstiff (Knockemstiff, 2008), Buchet/Chastel, 2010. Rééd. Libretto, 2013. Traduit par Philippe Garnier.
Du même auteur sur ce blog : Le Diable, tout le temps ;