Un hiver de glace / Winter’s Bone, de Daniel Woodrel / Romain Renard / Debra Granik
Aujourd’hui je vous propose une offre triple play, comme disent les opérateurs internet. Mais au lieu de cumuler téléphone, télévision et internet, nous allons faire place à l’offre roman, bande dessinée et film.
J’avais bien sûr déjà entendu parler d’Un hiver de glace de Daniel Woodrell dont j’avais apprécié la Chevauchée avec le diable, elle aussi adaptée au cinéma d’ailleurs. Pour autant, je ne l’avais pas encore lu. La sortie de l’adaptation au cinéma, sous le titre original du roman, Winter’s Bone, avait commencé à éveiller ma curiosité. Ma rencontre avec Romain Renard au festival de Frontignan à achevé de le faire. Les vacances étant propices à ce genre d’expérience, j’ai donc décidé d’enchaîner la lecture du roman, puis de la BD avant de regarder le film.
L’histoire d’abord. Ree Dolly, 16 ans vit au fin fond du Nebraska, dans la région paumée des Ozarks, avec ses deux jeunes frères et sa mère dont l’esprit bat la campagne. Jessup, son père, fabriquant reconnu de cocaïne, est parti un beau matin en promettant qu’il allait revenir avec de l’argent et de quoi manger. Alors qu’un hiver rude s’abat sur la vallée, et que Ree peine à chauffer et nourrir sa famille, Jessup n’est toujours pas revenu. Pire : le sheriff débarque un matin pour annoncer que Jessup avait hypothéqué leur maison pour payer sa dernière caution. S’il ne se présente pas au tribunal le jour de son procès, la famille de Ree sera expulsée. Il ne reste plus à l’adolescente qu’à partir à la recherche de son paternel dans une vallée dont on se demande si c’est le climat, les paysages de désolation ou les habitants consanguins, bouffés par la pauvreté, l’ignorance et le repli sur soi qui sont les plus rudes.
Féroce, âpre, poignant et porté par une écriture magnifique au service d’un personnage principal lumineux, Un hiver de glace est de ces romans dont vous avez bien du mal à vous extraire après les avoir lus et qui vous suivent longtemps. Woodrell, dont on savait déjà quelle belle plume il avait est ici en état de grâce et nous délivre une histoire poignante avec une admirable économie de moyen.
C’est avec crainte pour ce qui pourrait lui arriver et admiration que l’on suit cette adolescente qui voudrait s’extraire de ces lieux et de ses codes archaïques mais qui doit malgré tout en porter le poids sur ses épaules en plus de celui des errements de son père. Cette excursion dans le quart-monde que constituent une partie des campagnes du pays le plus puissant de la planète, et dont les habitants semblent oubliés du monde, est aussi émouvante que cruelle.
Une histoire qui les glace les sangs et une héroïne qui vous réchauffe le cœur. Magnifique.
C’est dire si l’adaptation en bande dessinée d’un roman d’une telle puissance était une gageure. Et c’est un fait que même avec une longue BD de près de 100 pages, toute la puissance du roman n’est pas rendue. La faute bien sûr à la nécessité de trancher à certains endroits pour accélérer une histoire dont l’intérêt tient aussi à ce qu’elle se pose parfois pour prendre le temps de décrire les personnages et leurs relations. Ceci dit, il s’agit d’un reproche qui mérité d’être atténué par le fait que j’ai lu cet album juste après la lecture du roman et qu’il était dès lors difficile de ne pas être déçu.
En contrepartie, il faut dire que Romain Renard, qui a scénarisé et dessiné cette adaptation, a fait un travail graphique d’une grande qualité et d’une rare intensité. Il rend parfaitement la sensation d’étouffement procurée par cette vallée qui semble constamment plongée dans l’ombre et, surtout, il a su donner épaisseur et lumière à Ree. Une belle adaptation donc qui faute de pouvoir rendre efficacement toute l’histoire en restitue à merveille l’atmosphère.
Réalisé par Debra Granik, le film tiré du roman de Daniel Woodrell s’avère très fidèle au livre à quelques exceptions près. On passera sur le fait que les deux frères de Ree deviennent, parité oblige, un frère et une sœur. Plus marquant, de prime abord, l’absence de la neige et de la glace qui font que l’on ne ressent peut-être pas autant que dans le roman la piqure du froid. Ce parti pris à cependant l’avantage de nous confronter on ne peut mieux à l’aspect extrêmement sombre et désolé des paysages.
Après la forme, le fond. La réalisatrice (et scénariste) a éliminé tout l’arrière-fond sexuel ; les infidélités de la mère, le quasi viol de Ree par Little Arthur ou encore les problèmes annexes de Gail, l’amie de Ree. C’est un choix qui se défend et permet d’éviter les circonvolutions scénaristiques qui risquaient d’appesantir le déroulement du film et de nous éloigner de Ree et de sa quête.
Servi par un excellent casting et notamment une formidable héroïne incarnée par la jeune Jennifer Lawrence. Winter’s Bone s’avère être un film aussi noir et âpre que le roman dont il est tiré. Du beau cinéma, avec une économie de moyens de plus en plus rare et qui permet de faire passer l’histoire au premier plan et de s’attarder sur des personnages qui méritent vraiment le détour.
Daniel Woodrell, Un hiver de glace, Rivages/Thriller, 2007. Rééd. Rivages/Noir, 2011. Traduit par Frank Reichert.
Du même auteur sur ce blog : Manuel du hors-la-loi ; Un feu d'origine inconnue ; Faites-nous la bise ; La mort du petit cœur ;
Romain Renard – Daniel Woodrell, Un hiver de glace, Rivages/Casterman/Noir, 2011.
Debra Granik, Winter’s Bone, 2010.