Un feu d’origine inconnue, de Daniel Woodrell
En 1929 West Table, Missouri, quatre mille âmes, est une petite ville rurale avec les habitants qui vont avec : prêtre fanatique, notables bien installés, vagabonds de passage ou clochards à demeure, ouvriers, journaliers… Malgré les différences, c’est la ville en son entier qui est touché par l’énorme incendie qui détruit le Arbor Dance Hall tuant quarante deux personnes et en mutilant des dizaines d’autres.
Trente ans plus tard, Alma, qui a vécu de près les évènements qui ont mené à ce drame confie à son petit-fils, Alek, sa vérité.
Derrière la révélation, le retour sur l’enquête bâclée, et les états d’âme d’un narrateur écartelé entre les deux branches de sa famille, Daniel Woodrell se lance avant tout dans la chronique d’une petite ville américaine dans la première moitié du vingtième siècle et de la complexité des liens sociaux. Dans une communauté où une minorité possède la plus grande part des richesses et où une grande part du reste de la population travaille à son service en essayant de survivre, haines, révoltes, secrets d’alcôves, mais aussi affection et amours interdites naissent.
C’est de tout cela dont Woodrell parle ici en plongeant dans l’intimité de la ou plutôt des familles de son narrateur. Pas de lutte des classes pour autant, mais deux mondes qui cohabitent, se frôlent mais ne doivent pas se mélanger, où le paternalisme des riches vis-à-vis des pauvres est de bon ton pour les premiers et humiliant pour les seconds, où la transgression se paie mais procure aussi son lot de frissons, jusqu’à ce que l’irréparable soit commis et que l’on tente de dissimuler tout cela… mais allez donc dissimuler et oublier quarante deux morts, essayez d’ignorer les mutilés que vous croisez chaque jour…
Sous nos yeux, West Table prend ainsi vie par la grâce des mots de Daniel Woodrell et le lourd secret mal enfoui se révèle peu à peu à travers les destins et les vérités de tous les personnages dont il nous permet de suivre les trajectoires.
Inspiré de l’explosion 1928 du Bond Dance Hall de West Plains, ville dans laquelle demeure Daniel Woodrell, Un feu d’origine inconnue dresse le portrait intime et terriblement tendre d’une communauté. Et démontre si l’en était encore besoin la formidable aptitude de Woodrell à aimer chacun de ses personnages sans pour autant l’idéaliser, cette capacité d’empathie à l’égard de chacun qui ne sombre pas dans le pathos et qui en fait un des meilleurs portraitistes de la littérature contemporaine.
Daniel Woodrell, Un feu d’origine inconnue (The Maid’s Version, 2013), Autrement, 2014. Traduit par Sabine Porte.
Du même auteur sur ce blog : Un hiver de glace ; Manuel du hors-la-loi ; Faites-nous la bise ; La mort du petit cœur ;