Faites-nous la bise, de Daniel Woodrell

Publié le par Yan

« On dirait que chaque fois qu'un Redmond tue un Dolly, y a quèque chose de vilain qui arrive. »

Le dernier Redmond à avoir tué un Dolly, c’est Panda, le grand-père, à l’époque où il était jeune et avait déjà un sale caractère. Ça a d’ailleurs coûté à la famille la quasi-totalité de ses terres dans les Ozark. Quand à Doyle Redmond, le petit-fils, sans jamais vraiment renier cette famille de bandits, il a quitté la région pour devenir écrivain. De retour dans le giron familial après quelques déboires conjugaux, il doit aller retrouver son frère, Smoke, en cavale dans les montagnes, pour le convaincre de se rendre aux autorités qui pourrissent la vie de leurs parents. Sauf que tout ne va pas se passer comme prévu.

Originellement sous-titré « A country noir », Faites-nous la bise est en effet un de ces romans noirs ruraux qui s’attachent aux destinées de ces blancs pauvres des coins les plus reculés des États-Unis ; de ces lieux jamais vraiment sortis de la prohibition où l’on n’a arrêté de fabriquer de l’alcool de contrebande que pour passer à la culture du cannabis ou, plus récemment, à la fabrication de meth. Ici le retour du fils pas vraiment prodigue que met en scène Woodrell est une belle réflexion sur l’atavisme familial, la quête de soi et le besoin de reconnaissance de la part de ceux que l’on aime.

Doyle, sans rencontrer un succès phénoménal, s’est fait un nom dans la littérature et a trouvé une certaine forme, bien que ténue, de reconnaissance en dehors de chez lui. Mais c’est celle de son grand frère, de son grand-père, de ses parents, qu’il voudrait enfin avoir.

Et son retour auprès de Smoke, de la femme qui partage la vie de ce dernier, Big Annie, et de la jeune Niagra, est pour lui une parenthèse enchantée. Il retrouve les lieux où il a grandi et dont il s’aperçoit qu’au fond ils ne l’ont jamais quitté, la rudesse mais aussi l’honnêteté des rapports humains qu’il n’a jamais pu trouver en Californie, la liberté qu’offrent ces Ozark où la Loi demeure une idée assez abstraite quand la misère est elle très concrète :

« Les Ozark regorgent de plantations de cannabis. Un article du West Table Scroll avait affirmé que, dans la région, un revenu moyen de douze mille dollars par an représentait un montant pour une famille de quatre personnes. Avec de telles données économiques, qui constituaient en fait un vibrant encouragement, toutes sortes de jeunes et de montagnards s'étaient mis semer ces graines magiques qui rapportaient au minimum mille dollars le pied, une fois mûr. C'est un délit mais c'est aussi une tradition et un acte de simple bon sens. »

Sauf que les Dolly vont faire leur apparition. Les descendants du type qu’a flingué Panda dans sa jeunesse, bande de ploucs aussi dégénérés que dangereux, sont en affaire avec Smoke et il y a de fortes chances pour qu’ils tentent de le doubler. Et Doyle, en retrouvant sa famille, a peut-être aussi besoin de prouver qu’il est bien un de ces Redmond sur les pieds desquels on ne marche pas.

Livre dans lequel Daniel Woodrell allie humour et sensibilité pour donner chair à des personnages complexes, tiraillés par leurs sentiments mais aussi entre ce qu’ils sont et ce qu’ils voudraient être, Faites-nous la bise, avec son rythme faussement indolent, se révèle être un très beau roman noir aussi cruel qu’amusant, aussi violent que tendre.

Daniel Woodrell, Faites-nous la bise, (Give Us a Kiss, 1996), Rivages/Noir, 1998. Traduit par Michèle Valencia, 269 p.

Du même auteur sur ce blog : Un hiver de glace ; Manuel du hors-la-loi ; Un feu d’origine inconnue ; La mort du petit cœur ;

Et une interview menée par Christophe Dupuis ICI

Publié dans Noir américain

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W
Bonne et saine lecture,c'est certain mais le Dorsey,c'est pour quand?
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Y
C'est pour très bientôt!