Manuel du hors-la-loi, de Daniel Woodrell
Hors-la-loi mais aussi hors du monde. Tels sont les personnages qui hantent les douze nouvelles de ce recueil de Daniel Woodrell. Dans cette région rude et isolés des Ozarks devenue le lieu de prédilection de ses écrits noirs, Woodrell, dépeint des vies à la marge tout autant de la loi que de l’Amérique, des communautés repliées sur elles-mêmes et méfiantes vis-à-vis de l’étranger comme de leurs propres membres.
Au milieu de cette nature encore sauvage, à la fois splendide et menaçante les liens entre les autochtones sont particuliers, les tensions exacerbées, les comportements déviants acceptés parce qu’ils sont cachés ou au contraire assumés et jetés à la face des autres. Ainsi verra-t-on un homme continuer à venir tuer le cadavre du voisin qu’il a assassiné, une fille s’occuper de son oncle pervers (« Mon bébé, il tient pas dans un berceau. Mon bébé, il fait bien cent kilos, il est dans un fauteuil roulant, il reste silencieux tout le temps et c’est dur de le pousser dans les côtes. Il peut plus parler depuis qu’il a reçu ce coup sur la tête que je lui ai moi-même donné. Je lui ai défoncé le crâne d’un coup de pioche, et depuis il a plus dit un mot, ni à moi ni à personne. »), un fils mettre le feu à la maison de ses voisins pour que sa mère malade puisse voir le paysage qu’elle a toujours aimé, un étranger nouvellement installé aux prises avec de dangereux locaux…
Parfois, pourtant, d’un drame peut sortir un semblant de compréhension mutuelle et de sincère compassion comme le montre la très belle nouvelle « Sentinelle de nuit » qui voit un ancien combattant du Vietnam abattre un rôdeur qui s’est introduit dans sa maison durant la nuit et qui s’aperçoit qu’il s’agissait d’un jeune vétéran d’Irak, fils d’un de ses amis d’enfance.
Ici aussi naissent des légendes qu’il ne faut peut-être pas chercher à vérifier comme le montre « Le cheval de notre histoire », nouvelle tendre et désabusée, et l’Histoire imprègne ces lieux hors-du-temps dans lesquels les hommes semblent immuablement destinés au malheur et à la folie.
En l’espace de quelques nouvelles, dont certaines d’une brièveté et d’une force impressionnantes, Daniel Woodrell démontre qu’il est l’un de ces auteurs qui sentent battre le cœur des lieux qu’ils habitent et décrivent et sans doute un des plus subtils et doués écrivains de ce sud rural abandonné.
Daniel Woodrell, Manuel du hors-la-loi (The Outlaw Album, 2011), Rivages/Thriller, 2013. Traduit par Isabelle Maillet.
Du même auteur sur ce blog : Un hiver de glace ; Un feu d'origine inconnue ; Faites-nous la bise ; La mort du petit cœur ;