Les gens des collines, de Chris Offutt
Si l’on ne craignait pas de passer pour un fainéant, on se contenterait de résumer le nouveau roman de Chris Offutt par la citation de James Hilary Mulligan qui l’ouvre :
Le clair de lune est plus doux au Kentucky
Les jours d’été sont plus riches au Kentucky
L’amitié y est plus vivace
Les flammes de l’amour plus tenaces
Mais le mal est toujours pire au Kentucky
Tout cela, Mick Hardin, soldat basé en Europe revenu en permission pour voir sa femme, Peggy, enceinte, le ressent intimement. Non seulement son mariage est en train de s’effondrer mais en plus sa sœur, Linda, shérif du comté, lui demande de l’aider à enquêter sur un meurtre. Là encore la tragédie se mêle à une forme de beauté lorsque, dans une fort belle scène d’ouverture, un vieil homme parti chercher du ginseng dans un vallon isolé trouve le cadavre d’une femme : « Le ginseng se repiquait mal, mais ça valait mieux que de le laisser se faire piétiner par tous les gens qui allaient venir enlever le corps. C’était un joli coin pour mourir. »
Un joli coin qui obéit à ses propres règles. Plus que la seule recherche d’un coupable, le travail de Mick consiste à trouver tous ceux qui auront un motif pour venger la femme assassinée et à empêcher qu’une longue vendetta vienne meurtrir la communauté qui vit dans ces collines du Kentucky.
On s’en doute dès le début, le drame qui s’est noué dans ce vallon a tout d’un triste et banal fait divers, mais il dévoile tout un réseau de sociabilité aux codes mystérieux pour l’étranger, fait de solidarité discrète, de règles complexes de respect, où la négociation d’une pièce de voiture d’occasion permet de marquer son ascendant sur quelqu’un ou de discrètement lui montrer une forme de déférence, où une offense apparemment minime n’importe où ailleurs peut se transformer en bain de sang. Dans cette toile complexe, Linda et Mick incarnent deux rapports différents à ce territoire et aux gens qui y vivent. La première est restée là et s’emploie à préserver l’équilibre des rapports qui régissent la communauté qu’elle sert et dans laquelle elle se sent reconnue et en sécurité. Le second est parti en emportant dans son cœur une part de ces lieux qui lui rappelle toujours combien ils lui manquent et combien ils ont forgé l’homme qu’il est devenu. Mais l’éloignement rend aussi le retour difficile : « Il était parti et le pays lui manquait terriblement, mais il avait envie de repartir chaque fois qu’il rentrait. »
Chris Offutt, avec l’immense talent qui est le sien, continue donc de creuser le sillon de cette obsession qui est la matière de son œuvre entière : dire la manière dont on appartient à des lieux plus qu’ils nous appartiennent, dont on est l’élément d’une communauté qui nous façonne, nous protège et nous contraint. C’est tragiquement beau.
Chris Offutt, Les gens des collines (The Killing Hills, 2021), Gallmeister, 2022. Traduit par Anatole Pons-Reumaux. 233 p.
Du même auteur sur ce blog : Kentucky Straight ; Sortis du bois ; Nuits Appalaches ;