Pas de littérature !, de Sébastien Rutés

Publié le par Yan

Gringoire Centon a publié un livre sans succès et est devenu traducteur pour la Série Noire. Un vrai traducteur version années 1950 : il parle mal anglais et traduit les romans dans un argot qu’il maîtrise tout aussi mal. Le processus est bien établi : Gisèle, l’épouse de Gringoire (qui, elle, parle anglais), traduit, et Gringoire revoit la traduction dans son argot fantasmagorique et selon les principes éditoriaux de la maison : « pas de littérature, pas de psychologie, de l’action et la réalité, rien que la réalité. »

Cet argot, le traducteur essaye autant que possible d’aller le chercher à la source, dans les tripots les plus mal famés où trainent les hommes du Milieu. Dans ces bars où l’on boit encore – pour peu de temps – clandestinement du Coca Cola, on fait parfois de drôles de rencontres comme celle avec Jo le Chanceux qui va mener Gringoire à un écrivain en fuite et, de là, au Sachem. Truand bibliophile, le Sachem verrait bien sa biographie publiée dans la collection de Marcel Duhamel, et pourquoi pas sous la plume de Gringoire. Mais à frayer avec les chiens, on a vite fait d’attraper des puces et le pauvre traducteur de se trouver entrainé contre son gré dans la guerre qui agite alors le Milieu.

On ne peut que dire le plaisir qu’il y a à se plonger dans ce nouveau roman de Sébastien Rutés.

Pour la légèreté d’abord. Celle d’une histoire échevelée ponctuée de sentences définitives qui, sorties des bouches de Gringoire, du Sachem ou de Gisèle, revêtent souvent sous la plume de Sébastien Rutés un aspect malicieux. Celle aussi des clins d’œil à la Série Noire, ses traductions à la hache et ses auteurs et traducteurs sous pseudonymes.

Mais sous cette apparente légèreté se révèle aussi très vite une réflexion qui pour être plus sérieuse n’en est pas moins réjouissante, à propos de la traduction, de la littérature, de leurs rapports et, partant, du nôtre, à la réalité. Sur la manière dont, en fin de compte, les mots peuvent forger une vérité différente. Pas de littérature, donc, mais bien une manière de dire combien celle-ci peut avoir un pouvoir puissant, combien les mots peuvent trahir, réconforter… plier un peu du monde à notre volonté, même si la réalité finit presque toujours par nous rattraper.

Gangsters de haut vol ou de pacotilles, écrivains finis, en devenir, ou ratés, bipolarisation du monde, et des livres, écrits, contrefaits, disparus ou à venir… c’est tout cela et certainement aussi beaucoup de ce que l’on veut soi-même y mettre que l’on trouve dans Pas de littérature ! Autant dire que cela vaut le coup de s’y plonger.

Sébastien Rutés, Pas de littérature !, Gallimard, La Noire, 2022. 253 p. Traduit par Sébastien Rutés.

Du même auteur sur ce blog : La loi de l'Ouest ; Monarques ; La vespasienne ; Mictlán ;

Publié dans Noir français

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