Monarques, de Sébastien Rutés et Juan Hernández Luna
C’est une femme qui est à l’origine de la rencontre du jeune parisien Jules Daumier, livreur de journaux pour l’Humanité et d’Augusto Solís, dessinateur mexicain. La belle et troublante Loreleï après une aventure avec Augusto est partie pour la France. Mais les lettres de l’amoureux mexicain ne trouveront que le nouveau locataire de l’appartement parisien de cette captivante allemande. Jules finit par répondre et une correspondance s’engage entre les deux hommes qui se découvrent un goût commun pour le sport qui fait fureur dans cette deuxième moitié des années 1930. Appelé lucha libre d’un côté de l’Atlantique, catch de l’autre, il draine un public nombreux, bigarré et a ses stars internationales comme l’acromégale Maurice Tillet, l’Ange français.
Une solide amitié à distance lie bien vite les deux hommes, au moins autant que l’obsession pour Loreleï qu’ils finissent par partager et qui va les mener à pénétrer dans les dessous de la politique expansionniste du Reich et dans ceux de la réalisation du Blanche Neige de Walt Disney.
Plus de soixante-dix ans plus tard, ce sera au tour de leurs petits-enfants de s’écrire pour tenter de comprendre qui étaient ces étranges grands-pères qu’ils n’ont jamais connus.
Roman épistolaire, roman d’aventures, roman d’amour et réflexion sur la transmission, sur les traces que laissent nos vies, Monarques est certainement l’un des livres les plus beaux, passionnants et intelligents de cette rentrée littéraire.
D’abord parce que dans une première partie constituée uniquement des échanges de courriers d’Augusto et Jules et des billets qu’échange Jules avec sa mère sourde, Sébastien Rutés et Juan Hernández Luna arrivent à planter avec maestria à la fois leur étrange et même burlesque galerie de personnages qui vont de l’espion nazi au nain érotomane en passant par le catcheur néanderthalien et érudit et LA femme fatale, mais aussi toute une époque aussi tourmentée que fascinante par l’étendue des possibles qu’elle ouvre à ces deux personnages idéalistes et rêveurs. Ensuite parce qu’ils rebondissent dans une deuxième partie bien plus tournée vers l’action dans laquelle ils jouent avec une énergie réjouissante avec les théories du complot, les chasses au trésor et les amours contrariées. Enfin parce que, sans pour autant abandonner l’humour et la passion des deux premiers tiers du roman, la troisième partie, plus grave, arrive malgré le fait qu’elle est fondée sur des échanges de courriers électroniques à dériver lentement vers une forme de poésie tout en bouclant l’histoire lancée près de 380 pages auparavant.
Monarques n’aurait pu être qu’un exercice de style, qu’un jeu littéraire entre deux amis écrivains, mais les talents mêlés de Rutés et Hernández Luna en on fait une pépite, un récit plein de grâce et de vigueur qui se révèle aussi exaltant que poignant. D’autant plus poignant que commencé à quatre mains et achevé à deux après la mort de Juan Hernández Luna, il apparaît à la lumière de cette disparition comme une bien belle ode à l’amitié et à l’immortalité que nous confèrent nos œuvres, nos actes et nos amours.
Sébastien Rutés et Juan Hernández Luna, Monarques, Albin Michel, 2015. 376 p.
De Sébatien Rutés sur ce blog : La loi de l’Ouest ; La vespasienne ; Mictlán ; Pas de littérature ! ;