Et nous, au bord du monde, de Nathalie Sauvagnac

Publié le par Yan

Plus de deux ans après l’excellent Les yeux fumés, Nathalie Sauvagnac est enfin de retour avec ce roman au titre énigmatique, Et nous, au bord du monde.

« Nous » c’est d’abord elle : Nadine, travailleuse précaire, dont on sait qu’elle est partie de quelque part et qu’elle n’a plus de domicile. Celle qui l’accueille l’amène un soir faire la fête en périphérie de leur petite ville de banlieue, sur les coteaux boisés qui la surplombent. Nadine découvre ainsi Les Vignes, domaine agricole à l’abandon où vivent deux hommes, Louis et Jean-Mi. Le premier, taiseux, élève quelques chèvres et poules. Le second, plus affable, cultive quelques plants de cannabis et essaie de maîtriser vaguement sa consommation d’héroïne. Rien de très emballant de prime abord dans ce squat sans eau ni électricité, avec ces deux hommes frustes. Pourtant, dans ce domaine entouré de merisiers, Nadine sent pour la première fois qu’elle peut trouver sa place, juste à la marge d’un monde qui lui a jusqu’à présent fait plus de mal que de bien. Alors elle s’installe. Mais il y a aussi cette chambre cadenassée, celle de Nono qu’on attend comme le messie. Nono qui doit revenir un jour, quand il sera libéré.

De la découverte des Vignes à la manière dont Nadine, Jean-Mi et Louis s’apprivoisent, Nathalie Sauvagnac, dans une longue première partie, met en place un décor presque idyllique, à tout le moins aux yeux de Nadine. Parce qu’elle fuit un monde dont elle pense qu’il ne veut pas d’elle, parce qu’elle trouve là une forme de liberté inédite et même une certaine pureté. Parce qu’on lui donne sans lui demander, parce qu’on l’accepte telle qu’elle est. C’est le printemps, les merisiers fleurissent et l’air est doux. Des gens passent, les soirées s’étirent et personne n’oblige personne à rien. Pourtant, les souvenirs qui assaillent Nadine charrient leur lot de douleur et l’attente de Nono pèse comme une chape de plomb sur Les Vignes. Le ciel n’est peut-être pas aussi dégagé qu’il paraît. De fait, l’arrivée de Nono marque une nouvelle étape. L’été est là, la chaleur écrasante et Nono dévore la place, aspire l’air, dirige, plie la volonté de ceux qui l’entourent.

Les yeux fumés était un roman sur la frustration. Et nous, au bord du monde, en est un sur l’emprise. Ils ont en commun de s’interroger sur la liberté, le libre arbitre et la manière dont le monde tel qu’il est vient les saper. C’est aussi un fort roman noir d’ambiance dans lequel, à travers les actes de ses personnages comme à travers les éléments naturels, Nathalie Sauvagnac instaure une tension permanente dont en sent qu’elle ne peut amener qu’à une forme d’éclatement de la bulle protectrice que Nadine croit avoir créée. On le pressent, on le voit se former et, dans le même temps, à travers ces flashbacks qui assaillent Nadine, les événements qui l’ont menée là nous apparaissent de plus en plus clairement, croit-on. L’histoire, ne le cachons pas, semble au départ assez téléphonée, et peut-être un peu trop pleine de bons sentiments – j’ai pour ma part vraiment craint de voir arriver une scène de cauchemardesque félicitée dans laquelle des rastas blancs joueraient avec un diabolo au bord d’un feu de camp sous le battement des djembés – sauf que Nathalie Sauvagnac sait jouer avec intelligence du petit pas de côté, du retournement surprenant et dramatique, jusqu’à une fin qui nous laisse étourdi.

Nathalie Sauvagnac, Et nous, au bord du monde, Le Masque, 2022. 211 p.

De la même autrice sur ce blog : Les yeux fumés ;

Publié dans Noir français

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