Au paradis je demeure, d’Attica Locke

Publié le par Yan

Comme on pouvait s’en douter à la fin de Bluebird, Bluebird, son précédent roman paru l’an dernier aux éditions Liana Levi, Attica Locke n’entendait pas abandonner son personnage de Darren Mathews, ranger noir du Texas chargé d’enquêter sur la Fraternité aryenne et en proie à ses propres démons.

On le retrouve donc quelques mois après sa précédente enquête, essayant tant bien que mal de remettre de l’ordre dans sa vie mais toujours sous la menace de l’épée de Damoclès suspendu au-dessus de lui : la manière dont il a protégé un ami accusé de meurtre.

La nouvelle mission confiée à Darren Mathews est ambigüe. Officiellement envoyé au bord du lac Caddo, à la limite entre le Texas et la Louisiane, pour aider à retrouver un enfant disparu, il doit en fait enquêter sur le père de celui-ci, membre éminent de la Fraternité aryenne emprisonné et, éventuellement, faire pression sur lui pour lui soutirer des informations sur l’organisation.

Le temps d’un seul roman on a eu le temps de s’attacher à Darren Mathews, à ses idéaux comme à ses contradictions. On le retrouve donc avec plaisir mais, il faut bien le dire aussi, c’est avec plus de plaisir encore que l’on découvre les lieux dans lesquels il vient enquêter. Dans le comté de Marion, sur les rives du lac Caddo et le labyrinthe de ses eaux parsemées d’îlots et de cyprès chauves étouffés par la mousse espagnole, se révèle au lecteur l’étrange communauté de Hopetown. Ici cohabitent descendants d’esclaves en fuite et d’indiens. Et ces suprémacistes blancs venus parasiter les lieux avec leurs caravanes décrépies. La tension qui règne ici, plus encore à ce moment de 2016 où Donald Trump vient de remporter l’élection présidentielle, est immense. D’autant plus que le garçon disparu s’est auparavant distingué par des actes de vandalisme à connotation raciste envers les noirs de Hopetown. Si Mathews se prend d’une forme d’affection pour le vieux noir qui a vu l’enfant en dernier, le soupçon vient néanmoins se nicher en lui : et si le gamin ne s’était pas perdu ni n’avait fugué ? Et si quelqu’un avait voulu se venger de lui ? Au fil de son enquête, confronté à la fois à l’absence de coopération des indiens et noirs de Hopetown, à l’hostilité des suprémacistes et aux menaces à peine voilées de la grand-mère de l’enfant disparu, riche propriétaire de la paroisse qui semble mener bien des manœuvres en sous-main, le ranger voit ses convictions ébranlées en même temps que sa vie personnelle recommence à se déliter.

Roman policier efficace, Au paradis je demeure est aussi une peinture passionnante de cette Amérique pauvre et rurale qui porte son histoire comme un fardeau, qui plus est à ce moment très particulier de l’arrivée au pouvoir de Trump. Attica Locke, à travers la fiction, trace les lignes qui divisent la société et montre aussi comment, parfois elles s’entremêlent ; la complexité du réel et les paradoxes qui traversent les relations entre les communautés et peut-être plus encore entre les classes sociales. C’est fin et, une fois encore, passionnant.

Attica Locke, Au paradis je demeure (Heaven, my home, 2019), Liana Levi, 2022. Traduit par Anne Rabinovitch. 314 p.

Du même auteur sur ce blog : Marée Noire ; Dernière récolte ; Pleasantville ; Bluebird, Bluebird ;

 

Publié dans Noir américain

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C
j'avais beaucoup apprécié la lecture du premier, j'ai bien sûr noté celui-ci. sa dépiction du sud profond est passionnante.
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