Une terre d’ombre, de Ron Rash

Publié le par Yan

uneterredombre1918. Laurel Shelton et son frère Hank, revenu du conflit en Europe avec une main en moins, vivent dans un vallon isolé de Caroline du Nord. Dans ce lieu encaissé, qui ne bénéficie que de quelques heures de soleil par jour, Laurel vit un quotidien fastidieux que vient parfois illuminer la beauté de la nature. Affublée d’une disgracieuse tâche de naissance qui vient s’ajouter aux superstitions locales faisant du vallon et de la ferme des Shelton un lieu maudit pour les habitants de Mars Hill, la petite ville la plus proche, la jeune femme est devenue une paria, une sorcière qu’il ne fait pas bon approcher. Sa vie change le jour où elle découvre au bord la rivière un inconnu muet jouant d’une flûte en argent.

Cette terre d’ombre du titre, cela semble clair a priori, c’est le vallon dans lequel vivent Laurel et Hank. Ce lieu perdu, presque désolé que frère et sœur s’emploient à rendre plus vivable malgré l’omniprésence de l’ombre, la rareté de l’éclat du soleil. C’est aussi, et Ron Rash s’emploie à nous le démontrer avec finesse, la Terre en général.

Ainsi, à travers l’histoire de Laurel, jeune fille que l’apparition d’un homme dont la musique la touche si profondément qu’elle en vient à croire qu’un autre destin que celui que lui ont assigné la vie et, surtout, la communauté de Mars Hill, est possible, Rash vient nous parler des hommes en général. Si, comme ces perroquets que l’on croyait disparus et qui reviennent dans le vallon, Laurel peut  penser qu’il lui est possible de contrecarrer le sort, de s’extraire de la place qui lui a été assignée, elle ne peut que constater que l’émerveillement et l’espoir suscités par l’arrivée de Walter et de sa musique auront bien du mal à rendre le reste du monde meilleur.

La description en parallèle des pudiques émois de Laurel et Walter et de la vie de la communauté de Mars Hill permet à Ron Rash de dresser son tableau par petites touches. Les haines recuites, vieilles rivalités et préjugés ont trouvé un nouveau et fertile terreau dans la guerre qui secoue l’Europe mais aussi ce petit coin des États-Unis par le biais des jeunes hommes qui en sont partis, qui y sont revenus mutilés ou qui, au contraire, y sont restés et entendent faire porter le poids de leur propre culpabilité sur d’autres boucs émissaires. Ce n’est pas la seule musique de Walter, aussi séduisante fut-elle pour Laurel comme pour les rugueux hommes des collines qui adoucira les mœurs ici, quand bien même elle aura su créer quelques beaux moments de fraternité. Tout cela, Rash le laisse pressentir dès son introduction et s’emploie à l’instiller tout au long de son récit, laissant toujours glisser un voile d’incertitude et d’inquiétude sur chaque scène, y compris celles qui ne pourraient être que lumière et bonheur pour leurs protagonistes.

Cette tension toujours palpable alliée à une écriture qui fait de la nature au sens propre comme de la nature humaine une description aussi fine qu’implacable confère à Une terre d’ombre un véritable statut de roman noir traversé d’aveuglants éclats de lumière.

Ron Rash, Une terre d’ombre (The Cove, 2012), Seuil, 2014. Traduit par Isabelle Reinharez

Du même auteur sur ce blog : Un pied au paradis ; Serena ; Incandescences ; Le chant de la Tamassee ; Par le vent pleuré ; Un silence brutal ;

Publié dans Noir américain

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L
C'est mon préféré de l'auteur il est très beau :)
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H
Moi j'en suis à deux (Le monde à l'endroit & Une terre d'ombre) et j'ai été convaincu également. Je lirai sans doute les deux premiers à l'occasion.<br /> Désormais, on ne pourra plus reprocher à un écrivain d'écrire à la Rash. ^^
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S
Très pressée de lire ce roman. J'ai lu les trois autres, c'est toujours formidable, mon préféré étant "Séréna"
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Y
<br /> <br /> Pour ma part, après en avoir beaucoup entendu parler, je découvre Rash avec ce roman et ne suis pas déçu. Je ne vais pas tarder à me procurer les autres.<br /> <br /> <br /> <br />