Un pied au paradis, de Ron Rash

Publié le par Yan

unpiedauparadisDécouvrant sur le tard Ron Rash avec son dernier et très beau roman paru en France,  Une terre d’ombre, c’est avec enthousiasme que l’on a décidé de lire l’œuvre de ce romancier. Autant commencer par le début avec le premier livre de l’auteur, Un pied au paradis.

Nous sommes dans les années 1950 dans un comté rural des Appalaches, en Caroline du Sud. Sur ces terres souvent ingrates, brûlées par le soleil d’un été caniculaire et vouées à être englouties à moyen terme avec l’installation programmée d’un barrage, un homme disparaît. Holland Winchester, bel homme mais aussi volontiers bagarreur, vétéran de la guerre de Corée, n’est pas revenu chez sa mère à midi. Et celle-ci est persuadé que c’est leur voisin, Billy Holcombe qui a tué son fils. Donnant tour à tour la parole au shérif Alexander, à Billy Holcombe, à sa femme Amy, à leur fils Isaac et enfin à l’adjoint du shérif, Ron Rash lève peu à peu le voile sur ce drame et, dans l’enchevêtrement des témoignages et des époques auxquelles ils interviennent fait ressortir les aspirations de chacun, les espoirs, les désirs et les interrogations de ces gens de peu qui voient leur monde disparaître inexorablement mais s’accrochent à leur mode de vie, à leurs terres, et à leurs noms.

On retrouve là des thèmes qui sont aussi prégnants dans Une terre d’ombre – et dont on peut penser qu’on les retrouvera pour partie dans les autres romans de Rash : la disparition progressive, lente mais inéluctable, d’un monde qui n’en fini pas de finir, le recouvrement symbolique par les eaux qui, avant de tout engloutir définitivement, fait ressurgir ce que l’on aurait voulu faire disparaître à jamais.

Ici encore, tout cela est fait avec finesse, avec le souci de montrer tout ce qu’il y a de bon et de moins bon en chacun des personnages, de décrire les aspirations de chacun sans porter de jugement et, partant, de sonder un peu l’âme humaine.

On portera cependant un petit bémol à cet avis très positif : là où, dans Une terre d’ombre, Rash réussissait avec brio à doter ses personnages d’une parole crédible et à toujours nous amener un peu plus loin sur le chemin de la vérité et de l’établissement des faits sans négliger de donner une grande épaisseur psychologique aux différents protagonistes de son histoire, Un pied au paradis apparaît plus faible. D’abord dans l’usage de la langue qui, rendons à César ce qui est à César, est aussi peut-être, sans doute même, un problème lié à la traduction : le choix de faire parler les personnages comme des ploucs de mauvais roman rural sur le pays de Caux se révèle gênant dans certains passages même si l’on peut comprendre le désir de restituer le niveau de langage utilisé par Rash lorsqu’il fait parler ses personnages de paysans des Appalaches. Ensuite parce que le choix du roman choral, pour intéressant et maîtrisé qu’il soit, pousse à des redites, des répétitions qui, en particulier à partir du troisième témoignage, font sensiblement baisser le rythme, avant que tout cela soit bien relancé par le témoignage d’Isaac qui présente une autre époque.

Mais convenons que si l’on se montre sans doute ici un peu trop exigeant, c’est bien que l’on a lu précédemment un grand livre de Ron Rash et que le contraste est légèrement défavorable, c’est bien compréhensible, à ce premier roman. Malgré tout, Un pied au paradis se révèle lui aussi prenant, d’une grande finesse et d’une grande pudeur dans la description de ce monde en pleine bascule entre un passé qu’il convient de ne pas trop embellir et un futur dans lequel on ne peut pas voir que le progrès.

Ron Rash, Un pied au paradis (One Foot In Eden, 2002), Éditions du Masque, 2009. Rééd. Le Livre de Poche, 2011. Traduit par Isabelle Reinharez.

Du même auteur sur ce blog : Une terre d’ombre ; Serena ; Incandescences ; Le chant de la Tamassee ; Par le vent pleuré ; Un silence brutal ;

Publié dans Noir américain

Commenter cet article

M
Je viens de terminer Un pied au paradis.<br /> J'ai beaucoup apprécié. À part peut-être la traduction de la partie d'Amy.<br /> Lequel de Ron Rash est "le mieux" ?
Répondre
M
Merci
Y
Pour moi, le meilleur roman de Ron Rash est Serena.