Par le vent pleuré, de Ron Rash
À Sylva, dans les Appalaches, une crue printanière fait surgir des rives d’un cours d’eau de vieux ossements.
Eugene Matney, éternel aspirant écrivain alcoolique, la soixantaine passée, abandonné de sa famille, voit la nouvelle dans le journal. Il replonge alors sur cet été de 1969 où son frère aîné, Bill, et lui, ont rencontré Ligeia Mosely. Les deux jeunes hommes tombèrent alors rapidement sous le charme de cette adolescente fugueuse envoyée ici par ses parents chez son oncle et sa tante bigots pour échapper aux tentations de Daytona et Miami, à l’alcool et aux drogues. Dans un comté où le Summer of love n’était toujours pas arrivé, l’audace de Ligeia, sa sexualité sans entraves, bouleversèrent Eugene et Bill, leur donnant l’occasion par ailleurs de s’opposer à leur manière à leur tyrannique grand-père, médecin de Sylva et grand ordonnateur de leurs vies. Du moins jusqu’au départ précipité de Ligeia.
L’annonce de la découverte de ses ossements n’est toutefois pas que prétexte à un nostalgique retour sur un été adolescent qui a changé à tout jamais la vie d’Eugene. Elle l’amène à se poser des questions gênantes. Si c’est Ligeia qui a été retrouvée, que s’est-il donc passé à la fin de cet été 1969 ? Et quel rôle a pu jouer Bill ?
Par le vent pleuré, court nouveau roman de Ron Rash, concentre une grande partie des thèmes chers à l’auteur : la cellule familiale vue comme un lieu de tensions et de conflits, le poids de l’héritage et celui du passé, les relations entre femmes et hommes et entre frères, empreintes de soumission et de révolte, la recherche de l’émancipation, et bien sûr la peinture de communautés isolées et le cadre naturel des Appalaches. S’il n’est pas au cœur de ce roman qui relève plus de la recherche introspective du narrateur que du récit des grands espaces, ce dernier joue toutefois toujours son rôle, à la fois refuge, menace diffuse et, surtout, révélateur de ce que l’on croit pouvoir enterrer à jamais, que cela soit un corps, des souvenirs par trop désagréables ou la peau que l’on a dû ou voulu quitter.
Fait d’aller-retour entre 1969 et un présent dans lequel se débat Eugene face au mur de silence que veut lui opposer son frère, Par le vent pleuré, s’il fait naturellement penser à d’autres écrits de Rash, n’est pas sans évoquer par ailleurs un autre grand disséqueur de la cellule familiale, Thomas H. Cook.
La plume toujours aussi affutée, Ron Rash sait toucher là où ça fait mal, brosse de forts beaux portraits de personnages ; Ligeia, bien sûr, adolescente bien moins libre qu’elle ne veut le paraître mais bien trop pour le monde qui l’entoure, Eugene et son besoin de s’affirmer, Bill qui s’est désigné lui-même comme le protecteur de son cadet mais qui veut aussi protéger l’avenir que son grand-père a tracé pour lui, et bien entendu ce grand-père omnipotent décidé à régenter la vie de ceux qui l’entourent.
Tout cela fait de Par le vent pleuré, un très beau livre qui n’a certes peut-être pas la force d’une partie des autres romans de Ron Rash, un peu coincé entre la nouvelle dangereusement étirée et le roman limité par un sujet qui ne permet pas de longs développements au risque de sombrer dans le pathos, mais qui bénéficie du savoir-faire de l’auteur et – surtout – du regard qu’il porte sur ses personnages et son pays et qui, pour être sans concessions, ne se fait jamais inquisiteur.
Ron Rash, Par le vent pleuré (The Risen, 2016), Seuil, 2017. Traduit par Isabelle Reinharez. 200 p.
Du même auteur sur ce blog : Une terre d’ombre ; Un pied au paradis ; Serena ; Incandescences ; Le chant de la Tamassee ; Un silence brutal ;