Swan Peak, de James Lee Burke
Voyant son ami Clete s’enfoncer dans la dépression depuis le passage de Katrina, Dave Robicheaux a décidé de l’amener avec lui et sa femme, Molly, dans le Montana. Mais la nature sauvage des Rocheuses ne peut tout faire. Surtout quand Clete est violemment pris à parti, alors qu’il pêche dans une rivière, par les hommes de main d’un richissime texan installé dans le coin. Des hommes qui font ressurgir d’anciens et désagréables souvenirs alors que, parallèlement, des crimes odieux sont commis.
Une fois encore, donc, le héros de James Lee Burke est rattrapé par la violence qu’il voudrait fuir et qui marque son existence entière. On passera donc sur cette propension que semblent avoir Clete Purcel et Dave Robicheaux à provoquer le mauvais œil qui les met constamment sur la route de psychopathes, tant en Louisiane que dans le Montana puisque, de fait, c’est bien cela qui permet à la série d’exister.
Du côté de l’intrigue qui voit se heurter plusieurs trajectoires (celles de Troyce Nix, de Candace, de Jimmy Dale Greenwood, des Wellstone, de Robicheaux et Purcel, et de toute une galaxie de personnages secondaires) sur fond de vengeance et avec l’ombre pesante de ce qui pourrait bien être un tueur en série, il est évident que James Lee Burke a voulu à la fois la complexifier et lui donner plus de cohérence en comparaison avec celle de son précédent roman, La nuit la plus longue. Si La nuit la plus longue ressemblait avant tout à une œuvre cathartique post-Katrina en même temps qu’un retour nostalgique (à tout le moins plus nostalgique qu’à l’accoutumée pour un écrivain qui semble chercher dans le passé les traces d’une Amérique rêvée) sur la Louisiane d’avant et une réflexion sur la rédemption, Swan Peak lorgne vers une enquête de facture plus classique et surtout plus élaborée, même si les thèmes majeurs de l’œuvre de Burke sont bel et bien là.
On ne niera pas cependant que, comme souvent chez James Lee Burke, la conjonction des hasards qui vont faire se retrouver tous ces personnages au même moment dans ce coin perdu du Montana et certains éléments de l’intrigue peuvent sembler tirés par les cheveux, et que les ficelles utilisées dans ce cadre sont parfois bien visibles. Mais les lecteurs qui ne jurent que par une intrigue millimétrée, haletante de bout en bout, et dont la résolution finale lève le voile sur l’ensemble de l’histoire d’une façon proprement étonnante ont sans doute déjà abandonné la lecture des romans de James Lee Burke depuis bien longtemps.
Car ce qui fait la singularité et le charme de James Lee Burke (ou qui fait que l’on s’y ennuie si on cherche sa dose d’adrénaline), c’est bien, outre son rapport à la nature, la complexité qu’il sait amener à ses personnages et la manière qu’il a de laisser son lecteur dans l’expectative quant aux décisions qu’ils vont décider de prendre ou pas. C’est aussi le combat de son héros contre lui-même, contre la violence qui l’habite. Et contre celle de son compagnon de route qui, lui, a décidé de l’assumer en tout point et, finalement, vit par et pour elle.
Sur ce plan, Swan Peak est incontestablement réussi et James Lee Burke y tisse une toile complexe dans laquelle ses personnages se débattent contre leur propre nature. Les trajectoires de Candace et Troyce Nix, comme celle de Jimmy Dale Greenwood, fascinantes à ce titre, en viennent même à presque voler la vedette à Dave Robicheaux et Clete Purcel.
Il est indéniable que l’œuvre de James Lee Burke est (de plus en plus) marquée par le rapport qu’entretient le héros (et sans doute l’auteur) avec la religion. Si d’aucuns peuvent y voir une manière de prêchi-prêcha, il convient de préciser que, si Burke met en relation les actions de ses personnages avec la religion, on peut aussi placer ses actions sur le plan d’une morale qui n’est pas forcément religieuse. Les valeurs que véhicule Burke dans ses romans demeurent des valeurs universelles que l’on ne peut cantonner à la religion.
Et, d’ailleurs, les principes moraux de Robicheaux viennent parfois se heurter aux dogmes religieux. Burke ne croit pas à la prédestination autrement qu’en des termes sociaux et historiques : l’homme est le produit de son histoire, de son milieu, et de l’histoire de son milieu. Pour autant, et il nous le prouve encore dans ce roman, il conserve son libre-arbitre et peut faire le choix d’infléchir la trajectoire qu’il suit.
C’est tout cela que l’on retrouve dans Swan Peak : une intrigue prétexte mais pas inintéressante qui laisse planer une once de mystère, des personnages complexes en lutte contre leur destin, contre leur histoire et contre eux-mêmes, des paysages à couper le souffle. Dix-septième roman de la série consacrée à Dave Robicheaux, Swan Peak est certainement l’un des plus réussis et l’un des plus denses.
James Lee Burke, Swan Peak (Swan Peak, 2008), Rivages/Thriller, 2012. Traduit par Christophe Mercier.
Du même auteur sur ce blog : Vers une aube radieuse, La nuit la plus longue, Jésus prend la mer ; La moitié du paradis ; L'arc-en-ciel de verre ; Texas Forever ; Déposer glaive et bouclier ; Creole Belle ; Dieux de la pluie ;