Déposer glaive et bouclier, de James Lee Burke
Après La moitié du paradis et Texas Forever, les éditions Rivages continuent à publier d’anciens romans de James Lee Burke qui n’avait pas encore eu droit à une traduction française. La démarche est d’autant plus logique pour Déposer glaive et bouclier que ce roman de 1971 est le premier à mettre en scène Hackberry Holland ; personnage que Burke reprendra en 2009 pour Rains Gods et en 2011 pour Feast Days of Fools, pas encore traduits chez nous.
Pour le lecteur assidu de James Lee Burke en français, les éditions récentes de Texas Forever et de ce Déposer glaive et bouclier appellent quelques remarques. D’abord parce qu’ils indiquent chez James Lee Burke une certaine ambition – que l’on a déjà ressentie à la lecture de La moitié du paradis – de construire une fresque familiale dans une partie de son œuvre. Ainsi apprend-on que Hackberry Holland n’est autre qu’un descendant direct du Son Holland venu s’installer au Texas au moment de la guerre entre Texians et Mexicains. Ce Son Holland dont Burke contera l’histoire en 1982 dans Texas Forever. Ensuite, on avait trouvé, lors de la publication de La rose du Cimarron, en 2001, que Billy Bob Holland, nouveau héros récurent de l’auteur, était une resucée un peu pâle de Dave Robicheaux et l’on s’aperçoit en fait que Robicheaux était plutôt un personnage qui empruntait beaucoup à Hackberry Holland et auquel Burke a su donner plus de complexité et plus de capacité à éveiller l’empathie chez le lecteur. Billy Bob Holland étant donc finalement une sorte de reprise – il appartient de toute évidence à la famille mais nous n’avons pas vérifié son arbre généalogique1 – de Hackberry un peu plus aboutie.
On aura deviné, après cette introduction, que Hackberry Holland n’est pas le personnage de James Lee Burke qui nous a le plus séduit. On découvre ici un impétueux avocat, ancien combattant de Corée, alcoolique et pressenti pour être bientôt élu au Congrès qui, suite à l’appel d’un ancien compagnon d’armes latino incarcéré pour ses activités syndicales, s’engage dans un combat qu’il peine à vraiment comprendre. Il se trouve bien vite en butte à une société texane rétrograde, raciste et violente dans laquelle les arrangements entre les plus fortunés et les politiques permettent de s’affranchir des lois. S’il pensait bien connaître cette société et ses règles, Holland s’aperçoit qu’il ne les avait pas forcément bien intégrées et que lui et ses semblables prospèrent sur l’injustice de cette société.
Ce que Burke nous dit là du Texas des années 1960-1970 et sur les conditions de vie des ouvriers agricoles mexicains est intéressant et instructif ; d’autant plus qu’il sait appuyer sur les points douloureux et susciter le sentiment d’injustice chez le lecteur. Toutefois, Hackberry, dont on peine souvent à comprendre les motivations, si ce n’est qu’il porte le poids d’une culpabilité qui l’amène à vouloir se racheter en se sacrifiant et même en cherchant plus ou moins à se trouver dans la position du martyr, est encore trop peu sympathique, et pas assez antipathique à la fois. Il n’est ni celui que l’on voudrait aimer, ni celui que l’on se plairait à détester. Sans doute parce que ses deux faces, son Jekyll et son Hyde, sont chacune à leur manière un peu trop caricaturales.
Alors certes il reste le charme de l’écriture de James Lee Burke, sa capacité à donner vie à un paysage, à poser une ambiance moite, étouffante, dans laquelle flotte constamment un parfum de danger, la promesse d’un dérapage incontrôlé et d’un moment de fureur. Mais on est encore loin de ce qu’il saura faire quelques années plus tard en la matière.
Pas inintéressant donc pour qui aime déjà les romans de James Lee Burke, important en ce qu’il ouvre une série dont on peu penser que la suite, écrite près de 30 ans après, sera d’un autre niveau, Déposer glaive et bouclier n’est pas un roman indispensable de la bibliographie de l’auteur. Tout au plus une curiosité et un passage obligé en entendant l’édition sans doute prochaine en France des autres aventures de Hackberry Holland.
1 C'est chose faite avec la sortie de Dieux de la pluie : Hackberry est le cousin de Billy Bob.
James Lee Burke, Déposer glaive et bouclier (Lay Down my Sword and Shield, 1971), Rivages/Thriller, 2013. Traduit par Olivier Deparis.
Du même auteur sur ce blog : Vers une aube radieuse ; La nuit la plus longue ; Swan Peak ; Jésus prend la mer ; La moitié du paradis ; L'arc-en-ciel de verre ; Texas Forever ; Creole Belle ; Dieux de la pluie ;