Working class hero : Vers une aube radieuse, de James Lee Burke
J’étais bien dépité ce week-end, quand mon libraire m’a annoncé qu’il n’avait pas encore reçu le dernier James Lee Burke. Je me suis alors souvenu avoir acheté il y a quelques temps un vieux roman de Burke, un de ses tous premiers, de 1970, édité en France en 2003 seulement : Vers une aube radieuse. Pas de Robicheaux, ni de Louisiane, là, mais Perry Woodson Hatfield James, issu d’une famille de mineurs du Kentucky.
Années 1960, Perry est jeune, il a seize ans et, comme son père, travaille dans une mine de charbon des Appalaches. Du moins aimerait-il y travailler car, travailleur syndiqué, il est en grève pendant que la compagnie engage des briseurs de grève, des non-syndiqués qui acceptent de travailler au salaire minimum. Son grand-père a longtemps répété à Perry qu’il était le descendant direct de Frank James, le frère de Jesse. Avec un tel sang de hors-la-loi, le jeune homme se sent plus ou moins obligé de participer à une expédition punitive contre les briseurs de grève et la compagnie. Une expédition qui se solde par la mort d’un homme et durant laquelle Perry a manqué craquer.
Conscient qu’il n’a aucun avenir à la mine, il décide aussitôt de quitter les lieux. Ce sera les Job Corps, qui offrent à des jeunes pauvres et sans instruction la possibilité de bénéficier d’un apprentissage. Là, opiniâtre malgré son côté sanguin et sa propension à s’emporter, Perry réussit à avancer et envisage un avenir plus radieux que celui qui l’attendait jusqu’alors dans le baraquement où s’entassait sa famille près de la mine.
C’était sans compter sur un terrible coup du destin : la mort de son père suite à un attentat contre le local du syndicat. Perry abandonne sa formation pour retourner auprès de sa famille, tenter la faire vivre et retrouver les assassins. De nouveau confronté à l’extrême pauvreté des familles de mineurs, à l’injustice, le jeune homme sent monter chaque jour en lui la colère, la rancœur et la haine.
Ce roman de jeunesse de James Lee Burke est une réussite incontestable, un coup de maître. Si j’ai appris à me montrer circonspect à l’égard des « avis » dithyrambiques d’auteurs ou de critiques qui fleurissent sur les quatrièmes de couverture des romans, je dois bien concéder qu’en l’occurrence, la louange adressée à Burke par un éminent confrère (« Charles Willeford considérait Vers une aube radieuse comme le chef-d’œuvre de James Lee Burke ») est loin d’être usurpée.
On retrouve ici déjà tout ce qui fait le sel des romans de James Lee Burke : des descriptions à couper littéralement le souffle (n’oublions pas que l’on parle de mines de charbon) et des personnages aux motivations complexes, menés à la fois par leurs sentiments, par une espèce d’instinct animal, mais aussi par des principes qui, pour être parfois discutables, n’en sont pas moins défendables dans le contexte dans lequel ils s’expriment.
Perry semble une version un peu plus grossière de Dave Robicheaux. Révolté contre l’injustice et contre les puissants qui écrasent les faibles, Perry l’est aussi contre ceux qui, parmi ces faibles, n’ont de cesse de chercher à imposer leur loi à ceux qui le sont encore plus qu’eux et de rejeter constamment la faute, la cause de leurs échecs, sur les autres. Comme Robicheaux encore, Perry est têtu et inflexible au point de s’engager sciemment dans une impasse uniquement pour se tenir à ses propres principes.
Voilà un beau livre, à lire en écoutant The River de Springsteen ou – mais ça devient beaucoup plus compliqué – en regardant Voyage au bout de l’enfer, de Cimino. Une fois de plus, Charles Willeford avait raison. C’est un chef-d’œuvre.
James Lee Burke, Vers une aube radieuse, Rivages/Noir, 2003. Traduit par Freddy Michalski.
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