Rétrospective Dortmunder (15) : Top Réalité, de Donald Westlake
Nous y voilà donc : l’ultime aventure du gang de cambrioleurs le plus ingénieux et le plus poissard de l’histoire de la littérature nous arrive enfin. Après le dernier roman d’Elmore Leonard le mois dernier, c’est donc une autre page qui se tourne chez Rivages. Et, fort heureusement, elle se tourne de belle manière avec ce dernier volume de qualité supérieure.
Jamais à court d’idées stupides, la téléréalité se lance dans un nouveau concept par l’intermédiaire de Douglas Fairkeep, producteur à succès du Stand, vibrante émission filmant le quotidien d’une famille de fermiers tenant un stand de fruits et légumes au bord d’une route. Le programme original qu’envisage Fairkeep ? Filmer une bande de criminels en train de monter un coup et de l’exécuter. Comme de bien entendu, et par un (mal ?)heureux hasard, c’est sur l’équipe de Dortmunder que le choix de Fairkeep va se porter. Le seul problème étant que, généralement, ce genre de travail se fonde sur l’anonymat des exécutants. D’abord rétifs, Dortmunder et ses comparses vont toutefois trouver assez rapidement une façon de rentabiliser à leur profit exclusif les lubies de Douglas Fairkeep. Si la chance est avec eux…
De coutume, Westlake, si ce n’est par le biais des allusions à la façon dont Andy Kelp irritait régulièrement Dortmunder avec de nouveaux appareils électroniques (répondeur, téléphone portable, ordinateur…), attaquait peu de front le monde moderne. Il laissait ses héros dans une époque dont on savait qu’elle était plus ou moins la nôtre mais qui, toutefois, se dépouillait de marqueurs trop précis sur le contexte sociétal. Ici pourtant, il place sa bande face à un fait de société (on évitera peut-être le qualificatif de culturel en l’occurrence), la course de la téléréalité vers des concepts de plus en plus stupides, qui témoigne bien de notre temps.
C’est d’ailleurs plus de cette téléréalité que de cambriolage qu’entend ici parler Donald Westlake. De fait, le coup que montent Dortmunder et ses acolytes est avant tout prétexte à les projeter dans le monde impitoyable de la production télévisuelle et se trouve finalement assez peu développé, l’auteur se contentant d’explications minimales et lançant même un dernier obstacle dont est en droit de se demander ce qu’il fait là.
Et si donc le coup en lui-même peut apparaître un peu bancal (et après tout, on est avec Dortmunder, Kelp, Murch et Tiny, non ?) c’est bien cette description des mœurs télévisuelles qui met en joie le lecteur. Usant de cette ironie que l’on qualifiera par l’oxymore de gentiment féroce qui est sa marque, Westlake dépeint un monde cynique dans lequel on voit évoluer avec joie stagiaires exploités, acteurs ratés (la figure de l’acteur ancien criminel de troisième zone qui a fini par obtenir quelques seconds rôles, notamment dans les Soprano, est à mourir de rire) et créatifs cyniques et formatés. À tel point que les seuls véritables professionnels sérieux sont ici les cambrioleurs. Voir ainsi s’échiner l’équipe de production à rendre la réalité plus réelle en la scénarisant est pour le lecteur une aventure d’autant plus jouissive que cette situation est mise en parallèle avec la façon dont Dortmunder et ses compagnons, en montant leur coup qui, une fois encore, ne se passe pas comme prévu, finissent par la rendre moins réelle.
Jouant avec habileté de cette opposition, de la mise en abyme créée par cette situation abracadabrante, Donald Westlake – même si on présume que mourir n’entrait pas nécessairement dans ses plans – offre une belle sortie à Dortmunder. Il ne nous reste plus qu’à relire la série depuis le début.
Donald Westlake, Top Réalité (Get Real, 2009), Rivages/Noir, 2014. Traduit par Pierre Bondil.
Dans la série Dortmunder sur ce blog : Pierre qui roule ; Comment voler une banque ; Jimmy the kid ; Personne n’est parfait ; Pourquoi moi ? ; Bonne conduite ; Dégâts des eaux ; Histoire d’os ; Au pire qu’est-ce qu’on risque ? ; Mauvaises nouvelles ; Voleurs à la douzaine ; Les sentiers du désastre ; Surveille tes arrières ; Et vous trouvez ça drôle? ;