Les rues de Laredo, de Larry McMurtry

Publié le par Yan

On l’attendait depuis bien longtemps. Depuis qu’on avait lu Lonesome Dove, à vrai dire. Deuxième volume de la série de Larry McMurtry consacrée à cette troupe de rangers du Texas sur un demi-siècle, Les rues de Laredo est le dernier publié, les éditions Gallmeister, après le roman initial, ayant décidé de respecter non pas l’ordre d’écriture des romans mais la chronologie des événements qui y sont comptés.

Nous voilà donc à la toute fin. Nous sommes une dizaine d’années après le retour de Woodrow Call du Montana. En ce début des années 1890, le monde change, même au Texas. Le train est là, qui traverse prairie et désert, la frontière entre les États-Unis et le Mexique est poreuse mais définitivement établie, les Indiens ont pratiquement disparu, les chasseurs d’ours doivent se reconvertir dans la traque des pumas et les ranchers présenter des comptes à leurs banquiers. Des bandits sont encore là, bien sûr, comme Mox Mox, qui aime à faire brûler vives ses victimes, ou ce jeune Joey Garza, dont les attaques de trains mécontentent au plus haut point le colonel Terry, depuis le siège de sa compagnie de chemin de fer à New York. Quelques légendes de l’Ouest trainent encore leur réputation vaguement ternie par l’âge… le juge Roy Bean, John Wesley Harding et, bien entendu, Woodrow Call. C’est à l’ancien ranger devenu chasseur de primes que Terry a décidé d’envoyer son comptable, le maladroit et replet Brookshire, afin de l’engager pour traquer Garza. C’est un drôle d’équipage qui va peu à peu se constituer : Woodrow Call, vieux ranger aux mains gonflées par l’arthrite, le comptable de Brooklyn, Famous Shoes le vieil indien âpre au gain, Plunkert l’adjoint du shérif de Laredo qui aveuglé par la légende, suit Call avant de le regretter amèrement et Pea Eye, le fidèle, celui qui a toujours suivi Call et n’aspire plus maintenant qu’à rester auprès de sa famille.

C’est en fait une marche vers la mort, on le comprend rapidement, qu’écrit Larry McMurtry. Celle des légendes, donc, ainsi que d’un Ouest qui, depuis alors au moins cinquante ans et la jeunesse de Call, n’en finit plus de mourir et dont Les rues de Laredo montre les derniers soubresauts. Colonisé et livré à la « civilisation », cet Ouest de légende agonise, et Call et les autres n’y sont plus que des fantômes dont la silhouette, peu à peu, se désagrège :

« La colonisation était désormais passée. Ben Lily, Goodnight, Roy Bean, et lui-même sans doute – car lui aussi était devenu une des vieilles figures de l’Ouest – n’étaient plus que les échos de ce qui avait été. Quand Lily disparaîtrait, puis Goodnight, Bean et lui-même, il ne resterait même plus d’échos, rien que des souvenirs. »

Il peut encore y avoir quelques chevauchées, des explosions de violence, mais l’issue est inévitable. On n’arrête ni la marche du temps ni celle du progrès. Il y a dans le portrait que dresse Larry McMurtry de ces hommes errant dans le désert à la poursuite de bandits presqu’aussi anachroniques qu’eux une forme de tendresse qui n’exclut pas un réalisme terrible et qui, même, le rend encore plus émouvant.

Mais au-delà de la destinée de Call, Pea Eye ou du jeune Garza, Larry McMurtry nous invite à suivre les pas personnages féminins particulièrement forts. Il y a Lorena, l’ancienne putain devenue institutrice lancée à la recherche de son mari, Pea Eye, Maria, la mère de Joey Garza qui n’a jamais eu que des maris violents ou décevants et a fini par engendrer un fils qui l’est encore plus, Doobie Plunkert, l’épouse innocente – trop innocente – de l’adjoint… Toutes les trois sont des victimes de la violence des hommes mais Maria et Lorena dévoilent aussi leur propre force et une capacité non seulement à endurer et à dépasser la douleur. Surtout à prendre conscience du fait qu’elles peuvent s’émanciper de ces hommes. La fuite de Maria avec les femmes de Crow Town et la marche de Lorena avec Woodrow Call en sont l’illustration parfaite. Pas moins dures au mal elles ont cela en plus que les hommes qui les entourent de savoir s’affranchir des règles d’une morale pervertie que ceux-ci érigent en dogme. Et c’est bien de Teresa, la petite aveugle que viendra en fin de compte la lumière.

Formidable roman, western on ne peut plus crépusculaire, Les rues de Laredo conclut avec une violente beauté une fantastique saga dont les personnages nous manquent déjà.

Larry McMurtry, Les rues de Laredo (Streets Of Laredo, 1993), Gallmeister, 2020. Traduit par Christophe Cuq. 745 p.

Du même auteur sur ce blog : Lonesome Dove, épisode I ;  Lonesome Dove, épisode II ; Le Saloon des derniers mots doux ; La Marche du Mort ; Lune comanche ;

Publié dans Western et aventures

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