La Marche du Mort, de Larry McMurtry

Publié le par Yan

Sous-titré Lonesome Dove : les origines, La Marche du Mort est donc un roman dont l’action prend place bien avant les événements contés dans le formidable Lonesome Dove.

Ce sont de biens jeunes Augustus McCrae et Woodrow Call que l’on retrouve là engagés chez les Texas Rangers et, surtout, dans deux tragiques expéditions. La première, qui ouvre le roman, consiste à reconnaître une route pour les diligences à l’ouest du Pecos et scelle la rencontre entre Gus et Woodrow d’un côté et Buffalo Hump, redoutable chef comanche déterminé à mettre fin à la mission des rangers de l’autre. La seconde, au cœur du livre, relève moins de l’expédition véritable que du départ à l’aventure de cette troupe hétéroclite de texans – fraîchement arrivés au Texas, d’ailleurs – sous les ordres d’un autoproclamé colonel, Caleb Cobb, pour prendre, à des centaines de kilomètres de là une Santa Fe fantasmatique où l’or et l’argent sont censés couler à flot. Une promenade de santé si on éludait les Comanches de Buffalo Hump, les Apaches de Gomez, le froid saisissant du désert du Nouveau-Mexique en hiver, les troupes mexicaines, les ours et l’absence d’eau.

Naïfs et encore mal dégrossis, Gus McCrae, obsédé par les femmes, saintes ou putains, fanfaron, trop sûr de lui, et Woodrow Call, raide comme la justice, doté de valeurs que la réalité de l’âme humaine telle qu’elle se dévoile dans les moments les plus sombres vient heurter jusqu’à l’explosion, deviendront des hommes et des frères dans cette longue errance et cette souffrance partagées.

Cette version romancée de la désastreuse Texan Santa Fe Expedition de 1841 évoque évidemment par bien des aspects La Décimation de Rick Bass (ou plutôt est-ce le contraire, le roman de Bass étant paru six ans après celui de McMurtry) et quelques autres monuments du genre tels le Méridien de Sang de Cormac McCarthy ou le Crépuscule sanglant de James Carlos Blake. Avec toutefois l’originalité de l’écriture de Larry McMurtry et de sa façon d’aborder ses personnages. Là où Bass, McCarthy et même Blake font dans une certaine sècheresse, McMurtry, comme à l’accoutumée, se plaît à développer, à donner le plus de chair possible, à sonder les sentiments, à montrer comment ils s’expriment, y compris dans les postures des personnages. McMurtry, c’est l’écrivain qui peut vous embarquer en décrivant pendant deux ou trois pages des hommes qui regardent une montagne. Il y a là comme dans Lonesome Dove le souffle de l’aventure, la justesse des dialogues, l’ironie constante, le sens du drame sans les grandes effusions et la formidable beauté des descriptions. C’est cruel, émouvant, trépidant mais aussi cocasse et l’on se régale de chaque page. On pourrait multiplier les citations mais on se contentera, si vous n’êtes pas convaincus, de vous donner les premières lignes de ce roman que l’on n’attendait plus et que l’on se réjouit de voir enfin traduit – par l’excellente Laura Derajinski qui plus est.

« Matilda Jane Roberts était nue comme au premier jour. Surnommée la Great Western à travers tout le sud du Texas, elle émergea du Rio Grande boueux en tenant par la queue une grosse tortue serpentine. Matilda était presque aussi large que le petit mustang maigrichon mexicain que Gus McCrae et Woodrow Call essayaient de débourrer. Call tenait la jument par les oreilles et attendait que Gus lance la selle sur le dos étroit de l’animal, mais le lancer tardait. Quand Call jeta un coup d’œil en direction du fleuve et qu’il vit la Great Western dans toute sa nudité replète, il comprit la raison de ce retard : le jeune Gus McCrae était d’une nature facile à déconcentrer. La vue d’une putain de quatre-vingt-dix kilos nue qui brandissait une énorme tortue serpentine avait mobilisé toute son attention, ainsi que celle du reste de la troupe des rangers. »

Larry McMurtry, La Marche du Mort (Dead Man’s Walk, 1996), Gallmeister, 2016. Traduit par Laura Derajinski. 506 p.

Du même auteur sur ce blog : Lonesome Dove, épisode 1 ; Lonesome Dove, épisode 2 ; Le Saloon des derniers mots doux ; Lune comanche ; Les rues de Laredo ;

Publié dans Western et aventures

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L
Assez d'accord avec la critique, pour le bon. Curieux, ce bouquin. En tant que dévoreuse de westerns, je l'ai dévoré, et une fois fini, j'ai trouvé qu'il manquait d'ampleur.. surtout à la fin (on aurait pu rester un petit bout de plus avec la lépreuse, son fils et leur domestique) Y'a un truc qui me chiffonne. Peut-être la finesse psychologique de TOUS les personnages, ou alors l'impression que j'ai eu de lire un recueil de nouvelles, avec son lot d'histoires et de personnages forts, mais sans l'unité, la cohésion d'une roman. En tous les cas, cette histoire n'égale pas LE Lonesome dove.
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Y
Non, ce n'est pas LE Lonesome Dove immense et qui prend son temps. Ça va un peu plus vite, certes, mais je n'ai pas eu cette impression de manque de cohésion. Ceci dit, il y a d'autres volumes pas encore traduits et on peut penser que certaines histoires y trouvent leur source ou y sont développées. On verra bien !
T
Hello^^<br /> <br /> Sur mon carnet des livres à acheter ! Je me demande s'il n'y a pas eu une adaptation aussi, du post Lonesome Dove... Si l'autre série était avec Robert Duvall et Tommy Lee Jones, il me semble que la postface était avec Jonny Lee Miller, le Sherlock d'Elementary et celui qui jouait dans Scary Movie... Arquette. Un truc avec les jeunes années, il me semble.
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Y
Oui! On le trouve notamment dans le coffret DVD "Lonesome Dove, l'intégrale".