La décimation, de Rick Bass

Publié le par Yan

« Nous étions les captifs de tous ceux qui nous regardaient, prisonniers dans nos propres cœurs, aussi, car nous n’avions pas seulement « perdu » notre liberté, nous y avions délibérément renoncé, lorsque nous avions fait les premiers pas pour traverser la frontière, en obéissant aux pressions stridentes de Fisher. »

En 1842, la jeune république du Texas monte une expédition pour combattre les soldats mexicains qui font des raids sur ses terres. Mais une partie de cette armée faite de bric et de broc – engagés plus ou moins volontaires, comancheros… – décide de passer la frontière pour porter la guerre au Mexique. Après quelques massacres des deux côtés de la frontière, cette troupe menée par le capitaine William Fisher est faite prisonnière par les Mexicains. Une évasion collective qui s’avère finalement un échec, les évadés se trouvant perdus sans eau dans le désert, aboutit à une sévère mesure de rétorsion. Le diezmo, la décimation du titre, consiste en un tirage au sort de haricots : un dixième des hommes environ tirant un des dix-sept haricots noirs placés parmi les cent-cinquante neuf blancs sera  exécuté.

Rick Bass propulse dans ce fait historique un adolescent de quinze ans, James Alexander, et son meilleur ami, James Shepherd, jeunes garçons bercés par l’histoire d’Alamo, élevés dans l’idée de la défense de leur jeune patrie et, tout simplement, attirés par l’aventure. Vite confrontés à la dure réalité de cette expédition hasardeuse, ils se trouvent entraînés dans des événements qui les dépassent. D’un caractère indécis, James Alexander se laisse porter par les événements et ne saura jamais vraiment profiter des premières opportunités qui s’offrent à lui de quitter l’aventure. Il en paiera le prix.

Ainsi, après une première partie âpre et violente qui voit les Texans se livrer à leurs exactions et affronter l’armée mexicaine lors du massacre de Ciudad Mier, et James Shepherd perdre un bras et devenir une sorte de personnification spectrale de la conscience d’Alexander, Rick Bass passe au récit de la détention de la troupe de Fisher. Là encore la narration se fait rude : les cas de conscience, les mauvais traitements, ce diezmo inique et la manière dont les prisonniers deviennent les pièces d’un jeu d’échecs entre diplomates mexicains, texans, américains et britanniques sont contés avec cinquante ans de recul par un James Alexander qui n’a pas encore fait le deuil de la culpabilité qui l’habite depuis son engagement.

Parabole politique assumée par l’auteur qui l’a écrite au moment de l’invasion de l’Irak par les Américains en 2003, roman d’apprentissage, réflexion sur la manière dont l’Histoire dépasse bien souvent ceux qui a font, La décimation est  incontestablement un western original. Et si l’on prend un véritable plaisir à cette lecture stimulante, on pourra sans doute regretter, quand bien même il s’agisse du premier roman de Bass que l’on a l’occasion de lire, que la belle écriture qui nous apparaît assez souvent ait parfois un goût d’inachevé qui laisse à penser que ce qui est un beau livre aurait pu être un grand roman.

Rick Bass, La décimation (The Diezmo, 2005), Christian Bourgois, 2007. Rééd. Points, 2010.

Publié dans Western et aventures

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S
J'aime ces westerns rudes et sans concession. Mais depuis que j'ai lu "Le fils" de Philip Meyer je ne peux m'empêcher de penser que les Américains cherchent aussi ainsi à réparer leur conscience...
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Y
Oui, il y a incontestablement de ça. Au moins chez certains d'entre eux.