Le Saloon des derniers mots doux, de Larry McMurtry

Publié le par Yan

« Le Saloon des derniers mots doux est une ballade en prose dont les personnages flottent dans le temps ; leur légende et leur vie réelle correspondent rarement. En écrivant cet ouvrage, j’avais en tête le grand réalisateur John Ford : il est connu pour avoir déclaré qu’à choisir entre la légende et la réalité, mieux vaut écrire la légende. C’est donc ce que j’ai fait. »

Ainsi Larry McMurtry pose-t-il les choses d’emblée, en ouverture de son roman. De légende il sera donc question et l’on croisera là Wyatt Earp et Doc Holliday devisant devant le Saloon des derniers mots doux tenu par Morgan Earp, puis s’essayant au spectacle avec William Cody avant de rejoindre Tombstone et d’affronter les Clanton. On s’attachera aussi aux pas du rancher Charles Goodnight et de sa femme, Mary, et de la sublime San Saba venue du harem d’un sultan ottoman.

Il y a donc dans ce roman de McMurtry une réelle aura légendaire, mais aussi et surtout une réflexion sur ce qui fait la légende. On se trouve d’ailleurs dans un Ouest difficilement définissable où, pour reprendre les mots de l’auteur, on sent les personnages flotter quelque part entre ce qui est et ce qui pourrait être :

« On est à Long Grass, presque dans le Kansas mais pas tout à fait. C’est presque aussi dans le Nouveau-Mexique, mais pas tout à fait. Certains ont même suggéré qu’on se trouvait peut-être au Texas.

-Tout dépend d’où s’arrête le Texas selon vous, ajouta Doc pour clarifier les choses. »

Les légendes – Earp, Holliday, Goodnight, Buffalo Bill – côtoient ici des personnages imaginaires – Lord Ernle, San Saba, Nellie Courtright – qui sont presque plus dotés de chair qu’elles. Surtout, ces légendes, même si Larry McMurtry dit vouloir suivre le précepte de John Ford, se révèlent très humaines et même, par certains côtés, décevantes. Wyatt Earp, pour ne parler que de lui, bat sa femme et n’apprend à tirer qu’au moment où il se fait embaucher par le Wild West Show de Buffalo Bill Cody et ne sort vivant de la fusillade du O.K. Corral que par le plus grand des hasards. Pas de quoi s’emballer.

On est donc bien là, même si le récit est rythmé par les clichés du genre – bagarres, troupeaux de vaches en furie, tempêtes de sable et autres serpents à sonnettes – dans la déconstruction de la légende. L’Ouest mythique est ici vidé en partie de sa substance et est avant tout un lieu où les personnages regardent le temps passer en essayant d’y trouver un nouvel intérêt. Le roman vaut aussi par ailleurs pour la place qu’il laisse aux femmes : fortes, bien moins attachées à un quelconque statut légendair , ce sont elles qui font avancer les choses.  

Western contemplatif plus que naturaliste, Le Saloon des derniers mots doux, est un récit mélancolique teinté d’onirisme, porté par la toujours belle plume de Larry McMurtry et de beaux moments de bravoure et d’ironie.

Larry McMurtry, Le Saloon des derniers mots doux (The Last Kind Words Saloon, 2014), Gallmeister, 2015. Traduit par Laura Derajinski. 213 p.

Du même auteur sur ce blog : Lonesome Dove, épisode 1 ; Lonesome Dove, épisode 2 ; La Marche du Mort ; Lune comanche ; Les rues de Laredo ;

Publié dans Western et aventures

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