Lune comanche, de Larry McMurtry
Second prequel de Lonesome Dove, Lune comanche prend place entre La Marche du Mort et Lonesome Dove. Gus McCrae et Woodrow Call ont achevé leur mue après la désastreuse expédition de Santa Fe qui se trouvait au centre de La Marche du Mort et nous les retrouvons donc plus de dix ans plus tard, dans les années 1850. Toujours rangers, leur activité principale consiste, sous le commandement d’Inish Scull, fascinant personnage de capitaine de la bourgeoisie bostonienne obsédé par l’aventure, à traquer les Comanches.
Très vite, Larry McMurtry pose une intrigue principale en trois bandes. D’abord Inish Scull et ses rangers voudraient mettre la main sur Buffalo Hump, le légendaire chef comanche qui, depuis les jeunes années de McCrae et Call a des comptes à solder avec eux. Kicking Wolf, le voleur de chevaux de la bande de Buffalo Hump rêve de voler l’imposante monture de Scull. Dans les montagnes de la frontière entre le Texas et le Mexique, Ahumado, bandit mexicain docteur es-tortures de captifs écorche avec régularité les voyageurs qui ont le malheur de passer trop près de son repaire.
Scull a un vieux compte à régler avec Ahumado qui, quelques années auparavant, a tenté d’abattre son cheval. Le vol de l’animal par Kicking Wolf qui, pour accomplir un exploit qui lui permettra d’entrer dans la mémoire de son peuple, décide de mener son butin à Ahumado est prétexte pour Inish Scull à partir à l’aventure et, pourquoi pas, à se venger du bandit mexicain. Ce départ est aussi l’occasion pour Gus McCrae et Woodrow Call de devenir à leur tour capitaines des Rangers et donc de se confronter à la dure réalité du commandement d’une institution certes respectée par la population mais tributaire d’une administration plus préoccupée par les économies et les contingences politiques.
Autour des quêtes de Kicking Wolf et d’Inish Scull se développent donc plusieurs fils narratifs secondaires : le passage de Call et McCrae aux responsabilités et leurs histoires sentimentales respectives, l’affrontement entre Buffalo Hump et son fils, Blue Duck.
Surtout, autour de ces histoires qui courent des années 1850 à la fin de la guerre civile, et ainsi que l’évoque clairement le titre de ce volume, c’est le crépuscule de la nation comanche que raconte McMurtry. Dans La Marche du Mort, Buffalo Hump se souvenait de la prophétie de sa grand-mère évoquant la fin de son peuple. Elle se réalise ici lentement. Décimés par les épidémies apportées par les colons, les Comanches ne peuvent plus que tenter quelques derniers barouds d’honneur. Collectifs comme la grande attaque menée par Buffalo Hump ou individuels à l’image de l’exploit de Kicking Wolf, ils ne suffiront bien sûr pas à rendre sa puissance à leur peuple qui choisit soit de courber l’échine et de rejoindre les réserves, soit, comme Blue Duck, de rompre avec les traditions et de s’allier avec les différents renégats qui courent la frontière pour piller et tuer.
Une nouvelle fois McMurtry confère à son récit un souffle exceptionnel par le biais d’une écriture riche, d’une description approfondie de chacun des personnages que l’on aura l’occasion de croiser, de leurs motivations, de leurs croyances, de la façon dont ils réfléchissent – ou pas – leurs actes. Ces personnages, d’ailleurs, sont ici particulièrement fascinants. Il y a bien entendu Gus McCrae et Woodrow Call auxquels on a eu le temps de s’attacher et que l’on regarde évoluer, et bien entendu de nouveaux, à commencer par Inish Scull et son goût de l’aventure poussé jusqu’aux limites de la folie, mais aussi Ahumado et son mystérieux goût pour la terreur, Kicking Wolf, Famous Shoes l’éclaireur à la recherche du trou duquel seraient sortis les ancêtres de son peuple ou Blue Duck et Buffalo Hump, tiraillés entre deux mondes et deux époques. Ce basculement, Larry McMurtry le fait aussi ressentir en laissant une large place aux pensées de ses personnages indiens et d’Ahumado, qui voient le monde à travers le prisme de croyances qui, de plus en plus, prennent l’apparence de sombres prophéties ou de la recherche d’une Arcadie disparue.
Voilà donc de nouveau un impressionnant roman de Larry McMurtry, sombre, touchant, pas dénué d’humour cependant et extraordinairement riche. On n’attend plus maintenant que le dernier volume de la série, Streets of Laredo, dont on espère que la traduction viendra vite.
Larry McMurtry, Lune comanche (Comanche Moon, 1997), Gallmeister, 2017. Traduit par Laura Derajinski. 765 p.
Du même auteur sur ce blog : Lonesome Dove, épisode I ; Lonesome Dove, épisode II ; Le Saloon des derniers mots doux ; La Marche du Mort ; Les rues de Laredo ;