Des milliers de lunes, de Sebastian Barry
Des milliers de lunes commence là où s’arrêtait Des jours sans fin, mais c’est bien une nouvelle histoire que Sebastian Barry entreprend de nous raconter. C’est celle de Winona, indienne lakota adoptée par le couple d’anciens soldats John Cole et Thomas McNulty.
La Guerre civile a tout juste pris fin. Dans la ferme de Lige Magan, près de Paris, Tennessee, où demeurent aussi deux esclaves affranchis, Rosalee Bouguereau et son frère Tennyson, on essaie vivre à l’écart des soubresauts de l’après-guerre. Dans ce Tennessee qui a été violemment divisé par la guerre entre confédérés et unionistes, les milices et les groupes violents de renégats n’ont pas fini de régler leurs comptes. Si les affranchis comme Rosalee et Tennyson ont un peu plus de droits qu’une des vaillantes mules du Tennessee, Winona, en tant qu’indienne, en a moins que n’importe quelle pièce d’ameublement.
Cette sorte de famille recomposée pourrait certainement toucher une certaine forme de bonheur dans cette vie rude et simple, mais on ne peut totalement fuir le monde tel qu’il est. Winona, 17 ans peut-être, s’occupe de la comptabilité de Briscoe, l’avocat de Paris, et est même courtisée par Jas Jonski, le garçon de l’épicerie. Un soir, elle est ramenée à la ferme par des hommes. Elle a été violentée, dissimule le fait qu’elle a été violée. Puis ce sera au tour de Tennyson d’être battu presque à mort. Commence un nouveau cycle dans lequel le désir de justice flirte avec celui de vengeance mais ou l’amour a aussi toute sa place.
On ne peut que dire le plaisir que l’on a à retrouver le formidable conteur qu’est Sebastian Barry, aussi à l’aise dans les scènes d’action que pour rendre la confusion des sentiments qui habitent sa narratrice. Choyée dans le foyer que lui ont bâti Cole et McNulty, elle n’en est pas moins à la recherche de son identité. Si elle existe en tant que fille – qu’enfant – dans cette famille de substitution qui est-elle vraiment ? Cette indienne à laquelle on dénie le statut d’humain issue d’une lignée de femmes guerrières dont le peuple a été asservi faute de pouvoir être détruit a-t-elle hérité du courage et de l’autorité de sa mère ? Peut-elle aimer et être aimée pour ce qu’elle est ? Pour pouvoir trouver un début de réponse à ces questions, elle devra emprunter des chemins qui seront parfois des impasses, commettre des erreurs, se mettre en danger.
Pour tout cela, au-delà d’un très bon roman d’aventures, Des milliers de lunes est aussi un très beau roman d’initiation et un livre humaniste qui sait saisir la complexité d’un monde dans lequel chacun essaie de trouver sa place.
Sebastian Barry, Des milliers de lunes (A Thousand Moons, 2020), Joëlle Losfeld, 2021. Traduit par Laetitia Devaux. 237 p.
Du même auteur sur ce blog : Des jours sans fin ;