Les nouveaux centurions, de Joseph Wambaugh

Publié le par Yan

Premier roman de Joseph Wambaugh, Les nouveaux centurions est devenu un de ces classiques oubliés du roman noir, pour peu qu’il ait vraiment été un classique un jour chez nous. Il l’est en tout cas aux États-Unis où il a notamment bénéficié d’une adaptation cinématographique de qualité, réalisée en 1972 par Richard Fleisher, avec Stacy Keach et George C. Scott. C’est elle d’ailleurs qui convainc les éditions J. C. Lattès de le traduire en français en 1973. Difficile à trouver aujourd’hui autrement qu’à un prix prohibitif, ce livre écrit par Wambaugh alors qu’il était encore officier du LAPD mérite pourtant le détour. Merci mille fois donc à Christophe Laurent de m’avoir prêté son exemplaire.

Le projet de Wambaugh est relativement simple : prendre trois jeunes recrues de la police de Los Angeles en 1960, soit le moment où il a lui-même rejoint cette institution, et les suivre jusqu’aux émeutes de Watts en 1965. Il y a donc Serge Duran, qui essaie de dissimuler derrière sa blondeur ses origines mexicaines, Gus Plebesly, le sportif qui cherche un emploi stable et une paye régulière pour nourrir sa famille, et Roy Fehler, l’intellectuel qui a abandonné – momentanément se dit-il – ses études de criminologie pour découvrir un monde qui le fascine et, lui aussi, subvenir aux besoins de son ménage.

Ce sera pour tous les trois à des niveaux divers l’histoire d’une désillusion. Ces centurions ne livrent pas de batailles épiques. Ce que découvrent Duran, Plebesly et Fehler au fil de leurs affectations, c’est comment tenter de gérer un conflit de voisinage, la manière de coincer une prostituée en se faisant passer pour un client, à faire le pied de grue dans une pissotière en attendant qu’un homosexuel vous fasse une proposition, à devoir laisser filer un jeune gangster mexicain qui a essayé de vous abattre parce qu’on ne trouve pas l’arme qu’il a utilisé, à gérer les tensions raciales jusqu’à ce qu’en 1965 la coupe déborde. C’est aussi les supérieurs plus ou moins coulants, les vieux briscards alcooliques et philosophes et la recherche de restaurants qui servent des repas gratuits aux flics. La vie personnelle qui part à vau-l’eau aussi à cause des horaires décalés et de l’impossibilité de partager ce que l’on voit et ses propres envies de violence.

Les trois recrues que l’on suit vont faire des choix qui semblent les mener à la même impasse et se confronter chacun à leur manière à une violence – sociale, physique, institutionnelle – qui les façonne. On trouve dans ce roman tous les ressorts de ce qui sera l’œuvre de fiction de Wambaugh sur le quotidien des flics : une description sans fard loin des clichés sur les justiciers ou les bourreaux que seraient ces policiers, une manière de dire aussi la peur qui ne les quitte pas de faire un faux pas, de se faire abattre, de se laisser happer par cette vie hors des normes et de ne plus savoir en sortir… Tout cela est porté par un vrai sens du dialogue et de la description de situations dont on ne sait jamais si elles vont verser vers le drame ou la comédie.

En cinq ans de rue, Plebesly, Duran et Fehler deviennent des vétérans tandis que le monde change et la ville aussi. Les émeutes de Watts, décrites ici d’une manière saisissante, sont le climax et le point de bascule de ce récit. Face au chaos, chacun se révèlera à lui-même.

On pourra certainement regretter la traduction très datée, avec en particulier des noirs qui s’expriment un peu comme s’ils sortaient de Tintin au Congo, mais, en attendant qu’un jour un éditeur – sait-on jamais – propose une nouvelle édition de ce roman patrimonial du genre, on ne peut que vous conseiller d’essayer de mettre la main dessus ou, à défaut, sur les autres romans de Wambaugh disponibles.

Joseph Wambaugh, Les nouveaux centurions (The New Centurions, 1970), J. C. Lattès, 1973. Traduit par François Truchaud. 448 p.

Du même auteur sur ce blog : Bienvenue à Hollywood ;  Soleils noirs ;  Le crépuscule des flics ; San Pedro la nuit ;

 

Publié dans Noir américain

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B
Vais essayer de trouver ça à montolieu
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