Le Système, de Ryan Gattis

Publié le par Yan

On a découvert Ryan Gattis en 2015 avec Six jours, saisissant roman qui suivait dix-sept personnages du quartier latino de Lynwood, à Los Angeles, le temps des émeutes qui, en 1992, ont suivi l’acquittement des policiers impliqués dans le tabassage de Rodney King. Profitant du chaos, les gangs réglaient leurs comptes. C’est là, un peu plus d’un an après, en décembre 1993 que Gattis nous ramène avec Le Système.

L’histoire peut sembler simple : Lucrecia « Scrappy » Lucero tient une partie du deal qui s’effectue à Lynwood. Elle est abattue devant chez elle par deux hommes et, se croyant perdue, donne le nom de l’un d’eux, Omar Armando « Wizard » Tavira, a Augie, le junkie qu’elle allait servir au moment du drame. Affaire réglée, pourrait-on penser, avec peut-être quelque vendetta à venir. Mais il faut compter avec Phil Petrillo, l’agent de probation de Wizard, qui voit là l’occasion de renvoyer son client au trou et, au passage, son colocataire, Jacob « Dreamer » Safulu. C’est que Dreamer vit avec Wizard et, surtout, avec la cousine de ce dernier, la belle et lumineuse Angela, qui suit des études d’infirmière et tente de s’extraire du quartier. Se débarrasser de Wizard et Dreamer, c’est pour Petrillo s’ouvrir un accès vers Angela. Un coup monté plus tard – une arme dissimulée dans le tiroir d’une commode – voilà que le système se met en branle, prêt à broyer Dreamer qui n’a jamais connu la détention et n’a pas participé à la tentative de meurtre de Scrappy.

Double système, en fait. Le système judiciaire, d’abord. Arrestation, interrogatoires, inculpation, préventive, procès… Quand la machine est en marche, elle ne s’arrête plus, surtout lorsqu’elle dispose de coupables idéaux. Le système du gang ensuite. Il convient d’être fidèle, d’accepter de tomber même pour un crime que l’on n’a pas commis et d’imposer le respect sous peine de se faire écraser. Dreamer en fait l’amère expérience, tout comme Little, le presque frère qui s’est tenu éloigné du milieu jusque là et va devoir y entrer de plain-pied par la force des choses, au risque d’y prendre goût.

C’est une nouvelle fois à travers le regard d’une nuée de protagonistes qui racontent à la première personne les événements que Ryan Gattis monte son récit, heure par heure, puis jour après jour, semaine après semaine. Il décortique ainsi tout ce système, mais aussi les ressorts intimes, ce qui fait que la machine n’est pas parfaite, qu’elle peut défaillir, parce qu’elle est humaine. Aussi rigides que soient les règles, nous dit Gattis, elles ne peuvent corseter les sentiments humains, bons ou mauvais. Et c’est là encore le talent de l’auteur que de donner à voir sans grandes démonstrations que rien ni personne ne peut être assigné à un seul rôle : les pourris peuvent avoir leurs raisons, les innocents ne le sont pas toujours vraiment. À chacun de faire son chemin, de composer avec ses propres valeurs et avec le système. La question est : à ce compte-là, et en ces lieux, peut-il y avoir une fin heureuse ?

Ryan Gattis, Le Système (The System, 2020), Fayard Noir, 2021. Traduit par Nadège Traoré-Dulot. 480 p.

Du même auteur sur ce blog : Six jours ; En lieu sûr ;

Publié dans Noir américain

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