Six jours, de Ryan Gattis
De retour du stand de tacos où il travaille pour rejoindre son quartier latino de Lynwood, à la frontière de South Central, Ernesto est abordé par les membres d’un gang qui le frappent, l’accrochent à leur voiture pour le traîner dans la rue avant de l’achever à coups de couteaux. Nous sommes le mercredi 29 avril 1992 un peu après 20 heures ; cinq heures plus tôt les flics accusés du tabassage en règle de Rodney King ont été acquittés. Les émeutes de Los Angeles viennent de commencer et elles vont durer six jours. Six jours durant lesquels, à Lynwood, profitant du chaos qui agite la ville et de l’absence d’une police trop occupée dans les quartiers noirs voisins, les gangs latinos règlent leurs comptes.
Déplaçant la focale des impressionnantes émeutes pour la fixer sur cette marge livrée à elle-même, Ryan Gattis donne la parole à dix-sept personnages, essentiellement membres de gangs impliqués dans la vendetta dont le meurtre d’Ernesto marque le point de départ, mais aussi infirmière, pompier, coréen aux abois, graffeur ou encore policier anonyme dont l’unité, profitant aussi du chaos, vient faire passer un message aussi rude que clair aux gangsters locaux.
Dix-sept personnages, donc, qui s’expriment tous à la première personne, interpellant au passage le lecteur, et surtout – ce qui est remarquable – pas un seul qui sonne faux, pas un discours qui paraisse artificiel. Certainement d’abord parce que Ryan Gattis a mené des recherches solides et su s’imprégner de l’atmosphère et de la culture des personnages qu’il met en scène, mais aussi parce que, quel que soit celui ou celle à qui il donne la parole, il ne cherche jamais à faire une démonstration. Chaque point de vue est livré avec sa partialité et évite ainsi tout discours lénifiant sans pour autant que Gattis fasse l’impasse sur les sentiments de celui qui parle, sur ses espoirs et son cheminement. Ce faisant, il convie le lecteur à pénétrer l’âme de chacun des orateurs et, à travers le tout que forme ce chœur, dans une part de l’âme de la ville en proie aux émeutes.
Vengeance, rédemption, rêves brisés, amours naissantes, fuites en avant ou espoirs d’une nouvelle vie se croisent, s’entrechoquent, se fondent les uns dans les autres de manière vertigineuse pendant que la ville brûle. De ce récit violent au ras du bitume dans lequel une bonne partie des personnages tente de profiter du chaos que ce soit pour en tirer quelque chose ou pour partir sur un nouveau pied, il ressort aussi une leçon sur la capacité de la ville et de ses habitants à se reconstruire et à se réinventer indéfiniment. C’est tout cela qui rend le roman de Ryan Gattis indispensable.
« La ville est une survivante. Elle continuera d’aller de l’avant, quoi qu’il arrive, et elle se relèvera de ces flammes, s’en relèvera de l’autre côté, et ce sera quelque chose de cassé, de beau et de neuf. »
Ryan Gattis, Six jours (All Involved, 2015), Fayard, 2015. Rééd. Livre de Poche, 2016. Traduit par Nicolas Richard. 596 p.
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