En lieu sûr, de Ryan Gattis

Publié le par Yan

On avait découvert Ryan Gattis il y a de cela quelques années avec Six jours, roman dans lequel il suivait les trajectoires de pas moins de dix-sept personnages le temps des émeutes de Los Angeles en 1992, dans le quartier de Lynwood. C’est au même endroit, mais seize ans plus tard, en 2008, qu’il nous ramène avec En lieu sûr. Le quartier a changé même si, au fond, il est toujours pareil. Les gangs latinos y font toujours la loi, mais d’une manière plus discrète, et se fondent dans le paysage. Ricky Mendoza Junior, dit Ghost, a changé en même temps que le quartier, mais d’une manière plus radicale. L’ancien junkie a coupé les ponts avec sa vie d’avant. Il est clean depuis seize ans et est même devenu l’honorable employé d’un serrurier. Un employé tellement talentueux dans son domaine que la DEA et le FBI recourent régulièrement à ses services pour ouvrir les coffres-forts qu’ils découvrent lors des perquisitions. Mais Ghost a découvert deux choses : son patron, Frank, croule sous les dettes, et quant à lui, le cancer dont il s’est remis il y a longtemps récidive et va lui être fatal. Alors autant employer le temps qui lui reste pour faire une bonne action. Ce sera vider le coffre bien rempli d’un gangster chez qui la DEA lui demande d’intervenir et essayer de survivre le temps de solder ses comptes.

Avec peu ou prou les mêmes éléments que dans Six jours, Ryan Gattis fait dans En lieu sûr l’inverse de ce qu’il proposait dans son précédent roman. Là où la sociologie du quartier l’emportait sur des destins individuels en quête de rédemption, c’est cette dernière qui est au cœur de ce nouveau livre, tandis que la vie de Lynwood et le fonctionnement des gangs sert de trame. Car c’est bien de rédemption dont il est question ici. Et d’amour. Il y a donc Ghost, qui ne s’est jamais remis de sa rencontre avec Rose, la jeune fille fan de punk rock – belle BO au passage, et une cassette qui rythme le roman qui n’est pas sans rappeler La Crête des damnés – qui, elle, a succombé depuis longtemps au cancer. C’est son souvenir, et le désir de se racheter des crimes commis avant de décrocher, qui ont donné à Ghost une raison de vivre et lui offre maintenant une manière de mourir honorablement. Mais il y aussi le deuxième narrateur, pas moins intéressant, Rudolfo « Rudy » Reyes, aussi appelé Glasses. Bras droit d’un boss de gang, celui-là même que Ghost a délesté de près de 900 000 dollars, Glasses mène la traque du serrurier. Mais Glasses joue son propre jeu et peut-être même cherche-t-il lui-aussi une forme de rédemption. Il y a là aussi de l’amour. Celui qu’il porte à son enfant dont il ne peut envisager qu’il grandisse dans le même monde que lui. Pour cela, il faut trahir.

Alternant les points de vue de Ghost et Glasses, Ryan Gattis, comme dans Six jours, propose un roman extrêmement rythmé et tendu. Certainement moins ambitieux que le précédent qui dessinait en creux le portrait de toute une communauté sous les destins individuels, En lieu sûr, en se focalisant sur les aspirations de ses deux narrateurs, se veut peut-être plus intime et est certainement plus anecdotique. Pour autant, en n’en prend pas moins de plaisir à lire cette histoire menée tambour battant et l’on s’attache indéniablement à ses personnages, ceux qui racontent comme ceux qui évoluent autour d’eux. Parce que, fidèle à lui-même, Gattis se refuse à peindre un monde en noir et blanc et, derrière la course poursuite qui tient en haleine, il nous offre donc des portraits en nuances de ceux qui peuplent le monde dans lequel ses personnages évoluent avec leurs contradictions. Bref, un polar efficace et avec de l’épaisseur.

Ryan Gattis, En lieu sûr (Safe, 2017), Fayard, 2019. Rééd. Le Livre de Poche, 2020. Traduit par Nadège T. Dulot. 404 p.

Du même auteur sur ce blog : Six jours ; Le Système ;

Publié dans Noir américain

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B
J'avais beaucoup aimé "Six jours", je suis heureuse de découvrir qu'une "suite" existe !
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