Du bleu dans la nuit, de Jean-Charles Chapuzet
Un soir de février 2004, une enfant est enlevée à quelques mètres de la maison de ses parents, dans un lotissement de Jarnac, en Charente. Les gendarmes le savent, dans ces cas-là les premières 24 heures sont cruciales. Un énorme dispositif se met en branle et les hommes de la section de recherches de Bordeaux débarquent en force, épaulés par la gendarmerie locale. Il ne faudra pas bien longtemps pour trouver un suspect. Reste à lui faire dire où se trouve la petite fille.
Cette affaire « Mona Lisa » que Jean-Charles Chapuzet nous raconte en détail n’a rien d’imaginaire. Un peu oubliée aujourd’hui – elle intervient seulement un an après l’enlèvement d’Estelle Mouzin et connaît un dénouement rapide – elle a pourtant profondément marqué ceux qui ont participé à l’enquête. C’est eux que Jean-Charles Chapuzet a commencé par rencontrer. Tout droits sortis d’un polar, Le Patron, Le Fox ou Papa, racontent ces heures cruciales qui, quatorze ans après, les hantent encore.
Mais il n’y a pas que l’enquête. Il y a aussi le coupable dont Chapuzet reconstitue l’itinéraire depuis l’enfance, qu’il essaie – peut-être en vain – de comprendre, peignant au passage un tableau vif, précis, sans pathos, d’un lumpenproletariat rural que l’on ne veut pas toujours voir. D’ailleurs, là où souvent on se souvient plus des coupables que des victimes, il semble qu’ici l’un comme l’autre soient plus ou moins tombés dans l’oubli en dehors bien entendu de la région où ce fait-divers a eu lieu. Si Jean-Charles Chapuzet ne s’attarde pas plus que nécessaire sur Mona Lisa et sa famille, dont il entend préserver une certaine forme d’anonymat, il creuse donc la vie de son ravisseur et dresse en creux le portrait d’une tranquille petite ville de province et de la manière dont, jusqu’à ce passage à l’acte, elle se préoccupe bien peu de ses marginaux et même, d’une certaine manière, elle se permet d’oublier leurs dérapages. Peut-être parce qu’ils renvoient justement à son incapacité à les comprendre et à éviter qu’ils basculent.
Enfin, derrière tout cela, il y a aussi les jeux d’influence chez les journalistes et les enquêteurs, les conflits que l’on essaie de mettre en sourdine et le jeu de la récupération politique.
C’est tout ça qui fait de Du bleu dans la nuit un parfait récit documentaire qui se lit comme un roman. Parce que Chapuzet, tout en veillant à conserver le recul du journaliste, plonge profondément dans son histoire et cherche autant que les faits à comprendre les ressorts intimes des protagonistes. Un travail fascinant et exemplaire.
Jean-Charles Chapuzet, Du bleu dans la nuit, Marchialy, 2020. 200 p.