La Crête des damnés, de Joe Meno

Publié le par Yan

Octobre 1990. Brian, lycéen binoclard de la banlieue sud de Chicago et fan de Guns N’ Roses et de séries B d’horreurs dans lesquelles on peut apercevoir des femmes à poil doit se rendre à l’évidence : il ressent plus que de l’amitié pour Gretchen, sa copine punk adepte de baston et malheureusement éprise de ce gros crétin raciste de Tony Degan. Le temps d’une année, Brian va grandir, tenter de trouver sa place dans un monde qui n’est pas encore celui des adultes – de ses parents qui ne s’aiment plus – et déjà plus celui de l’enfance. Un monde parfois dur et dans lequel les amitiés qui se forgent tout comme les conflits aident peut-être à se trouver. Il va y avoir aussi la découverte du punk rock et de tout ce qui gravite autour : la musique, bien entendu, mais aussi une manière de voir le monde, de s’extraire de la masse aussi, tout en se sentant appartenir à quelque chose de plus grand.

La Crête des damnés apparaît donc, bien entendu, comme un roman ultra référencé, bourré d’allusions à la contre-culture musicale des années 1980-1990 qui en ferait presque, sous divers aspects, une histoire à mi-chemin entre American Graffiti  et Breakfast Club pour cette décennie-là avec la même volonté de montrer le chemin d’adolescents blancs de la classe moyenne, une certaine insouciance de façade qui dissimule mal l’angoisse de voir approcher l’âge adulte et le risque de finir comme leurs parents. Mais s’il décrit une époque et une frange de la génération concernée – celle de l’auteur, en fait – avec sa culture musicale et cinématographique particulière, le livre de Joe Meno est avant tout un roman d’initiation avec une portée bien plus large.

Meno, en effet, trouve à travers le récit à la première personne de Brian, entre candeur, autodérision et désarmante honnêteté, une manière de dire le mal-être adolescent, la douloureuse sortie de l’enfance, dans laquelle chacun peut en fin de compte se retrouver.

Sans que l’on s’en aperçoive, on se retrouve vite à suivre avec passion le quotidien morne de Brian, à se prendre d’affection pour ces personnages forts en gueule ou trop timides. À coups de musique, de petits boulots, de transgressions qui leurs paraissent énormes et ne vont pourtant pas chercher bien loin, ils forgent sous nos yeux leur identité à travers une culture peu académique mais émancipatrice. Ils peuvent aussi en toute innocence et honnêteté rejeter le carcan de la vie trop étriquée que leur offrent le conformisme du lycée et de l’Église et la démission de leurs parents pour se confronter à une liberté parfois effrayante. La vie, quoi.

À tout cela Joe Meno apporte une grande drôlerie mais aussi beaucoup de tendresse sous l’ironie. Un livre qui, bien après sa lecture, continue à coller à la peau.

Joe Meno, La Crête des damnés (Hairstyles of the Damned, 2004), Agullo, 2019. Traduit par Estelle Flory. 384 p.

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Publié dans Littérature "blanche"

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