Dédale mortel, de S. Craig Zahler
Après deux violents westerns, S. Craig Zahler retrouve un environnement urbain avec ce Dédale mortel dont un souteneur, Darren Tasking – dit Task – et une prostituée, Erin Green, essaient de s’extraire. Sans être aussi sombre et violente que la Victory du premier roman de Zahler, Exécutions à Victory, la ville dans laquelle évoluent les personnages de Dédale mortel, a beau se trouver en Floride, elle apparaît comme une sorte d’entité froide et presque déserte. Il faut dire que les flics et voyous qui la peuplent ne semble guère avoir de relations avec les citoyens lambda qui, de fait, sont pour ainsi dire inexistants. Cela participe d’un sentiment d’étrangeté et de la sensation que peut avoir le lecteur d’errer à la suite des personnages dans un jeu vidéo… plus GTA que Super Mario Bros, en l’occurrence.
Mais que se passe-t-il au juste ? Darren Tasking se veut un entrepreneur plus qu’un malfrat. Et c’est ainsi qu’il gère ses affaires, méticuleusement. Indépendant, il profite néanmoins de la protection d’organisations plus puissantes et s’il ne s’est pas taillé un empire, il gagne néanmoins très bien sa vie. Les choses commencent à mal tourner pour lui lorsqu’il rencontre Erin Green, une sublime strip-teaseuse à laquelle il va forcer la main pour qu’elle rejoigne son écurie de call-girls et lorsque deux gangsters décident de le braquer lorsqu’il vient relever ses compteurs. Dès lors, un terrible engrenage se met en route et Task maîtrise de moins en moins les conséquences de chacune de ses décisions.
Après avoir commencé comme un bon vieux roman pulp de dur à cuire, Dédale mortel devient donc l’histoire d’une chute particulièrement violente. Toute la partie, assez longue, qui expose les personnages, leurs liens, et la manière dont fonctionne le milieu dans lequel évolue Task est prenante. Craig Zahler présente cela avec un véritable sens de la formule, de l’humour, mais aussi une réelle tension que viennent parfois briser des moments de violence.
On entre ensuite de plain-pied dans l’histoire de la manière dont les choses échappent à Task. Et donc, aussi, un peu plus encore dans la violence. C’est d’ailleurs là un des aspects rebutants de ce roman. Zahler, dès son premier livre – mais aussi dans son cinéma – nous a habitués à un traitement débridé d’une violence qui en devient grand-guignolesque. On a cependant l’impression que dans Dédale mortel, certaines scènes, en particulier de torture, manquent du recul nécessaire qui en ferait d’incontestables objets de comédie, des moyens de se faire peur à peu de frais et de finalement en rire. Décrites avec forces détails, elles basculent régulièrement dans un voyeurisme sordide qui installe d’autant plus un malaise que le roman de Zahler est une série Z assumée, un pur divertissement et pas un livre qui se voudrait porteur d’une quelconque réflexion sur la violence.
Bref, si l’on prend souvent plaisir à voir Zahler aligner les clichés du genre, à piocher dans la littérature et le cinéma populaires pour proposer une histoire échevelée, on ne peut en fin de compte se défaire d’un certain sentiment de gêne. Et une question finit par nous tarauder : mais que veut donc dire Zahler ?
S. Craig Zahler, Dédale mortel (The Slanted Gutter, 2021), Gallmeister, 2021. Traduit par Janique Jouin-de Laurens. 549 p.
Du même auteur sur ce blog : Exécutions à Victory ; Une assemblée de chacals ; Les spectres de la terre brisée ;