Bluebird, Bluebird, d’Attica Locke
Publiée jusqu’alors à la Série Noire avant de disparaître du paysage éditorial français. Attica Locke revient chez Liana Levi. Et c’est heureux.
Darren Mathews est un Texas ranger. Darren Mathews est noir. Et Darren Mathews est aussi membre de la force opérationnelle chargée de la Fraternité Aryenne du Texas. C’est pour cela que, même s’il a été récemment mis à pied dans l’attente du verdict d’un procès dans lequel est impliqué un de ses proches qui a abattu un membre de la Fraternité, un ami du FBI le sollicite pour aller enquêter officieusement sur deux meurtres qui ont eu lieu à l’est du Texas, dans le comté rural de Shelby. Là, dans le bayou qui jouxte le restaurant de Geneva Sweet, on a retrouvé tour à tour deux cadavres : celui d’un avocat noir de Chicago et celui d’une serveuse blanche officiant dans un bar aux mains de la Fraternité Aryenne du Texas. Crime raciste ou affaire plus complexe plongeant dans l’histoire des lieux ? Confronté d’une part à la méfiance des noirs qui fréquentent le restaurant de Geneva et d’autre part à la haine des blancs au service de Wallace Jefferson III, le maître des lieux, Mathews fait de cette enquête une affaire personnelle.
Depuis 2009 et la parution de son premier roman, Marée Noire, Attica Locke n’a cessé d’explorer les tensions raciales qui minent le Sud profond et plus particulièrement le Texas dont elle est originaire. Ce travail, la romancière le fait avec constance et surtout sans jamais oublier la complexité des relations entre les communautés ou en leur sein. Bluebird, bluebird ne fait pas exception à la règle. Si, au départ, les choses semblent relativement simples – des crimes racistes auxquels la police n’accorde que peu d’importance – l’enquête que mène Darren Mathews met à jour des mécanismes beaucoup plus complexes en dévoilant peu à peu l’histoire qui se cache dans l’histoire. Il y a certes, c’est évident, des ressorts raciaux dans cette affaire, mais dans quelle mesure interviennent-ils ? Dans quelle mesure aussi Darren Mathews peut-il être guidé par autre chose que la relative objectivité qu’il devrait adopter en tant qu’enquêteur ?
Car, bien entendu, d’autres critères entrent en jeu dans la manière dont il aborde cette affaire : sa haine viscérale et obsessionnelle à l’égard de la Fraternité Aryenne, le besoin profond de trouver sa place en ces lieux où il se sent chez lui, en particulier dans le restaurant de Geneva Sweet, mais où les blancs le voient avant tout comme un noir et les noirs comme un flic. Le duo qu’il forme par ailleurs avec Randie, l’ex-épouse du mort, incapable de saisir le fonctionnement de ce Sud profond auquel elle est totalement étrangère.
Si on avait apprécié les précédents romans d’Attica Locke, on pouvait toutefois regretter parfois des intrigues qui, dans la série consacrée à l’avocat Jay Porter, pouvaient se révéler trop complexes, au risque d’y faire s’enliser le lecteur. Avec Bluebird, bluebird, elle semble atteindre un parfait équilibre entre cette nécessaire finesse dans l’analyse et l’efficacité de l’intrigue. Intelligent, sensible et passionnant, ce nouveau roman de Locke est une indéniable réussite, un de ces livres qui arrivent à vous tenir en haleine tout en vous offrant la possibilité de comprendre un peu mieux le monde.
Attica Locke, Bluebird, bluebird (Bluebird, Bluebird, 2017), Liana Levi, 2021. Traduit par Anne Rabinovitch. 319 p.
Du même auteur sur ce blog : Marée Noire ; Dernière récolte ; Pleasantville ; Au paradis je demeure ;