Marée noire, d’Attica Locke
En 1981, à Houston, Jay Porter avocat noir, ancien militant radical en faveur des droits civiques, fête l’anniversaire de sa femme sur un bateau minable voguant sur le bayou Buffalo qui traverse la ville. Le dîner en amoureux est interrompu par des coups de feu et l’apparition d’une femme apparemment poursuivie qui manque se noyer dans la rivière. Cet événement met en branle une mécanique impitoyable. Confronté à une histoire qu’il ne comprend pas, à la réminiscence de sa jeunesse militante et des souvenirs amers qui lui sont associés, au moment où les dockers noirs soutenus par son beau-père pasteur menacent de se mettre en grève, Jay se trouve happé dans cet engrenage.
Premier roman d’Attica Locke Marée noire est un livre ambitieux tant au niveau de la construction complexe de son intrigue que de la reconstitution de deux époques (le début des années 80 et le boom pétrolier de Houston, les années 60-70 et le militantisme noir). Il est par ailleurs, comme l’indique l’auteur en conclusion, étroitement lié à sa propre histoire familiale. C’est en partie ce qui fait le charme de ce roman mais en marque aussi les limites.
De fait, investie dans son sujet, soucieuse d’expliciter les agissements d’un Jay qui apparait comme un double de son père, Attica Locke tend à négliger les explications qui seraient parfois nécessaires à une bonne compréhension de l’intrigue. Si l’on se laisse facilement embarquer dans l’histoire personnelle de Jay Porter, si l’on s’intéresse à ses cas de conscience, à ses renoncements mal assumés à cette forme de lâcheté compensée par un profond désir de justice et la honte même de cette lâcheté – ou plutôt de cette peur profondément ancrée – qui l’habite, on peine souvent à se retrouver dans ces questions de grève des dockers, de collusion entre politiques, magistrats et homme d’affaires qui, pourtant, auraient pu être une formidable trame à cette histoire.
Quelque peu dépassée par son sujet, Attica Locke offre un roman à moitié réussi – ou à moitié raté – avec des personnages complexes et bien campés, mais déroule avec peine son intrigue. Il reste au final quelques belles pages, des personnages ambigus comme on aimerait en voir plus souvent, mais aussi le sentiment d’être passé à côté de ce qui aurait pu être un excellent roman. On espère toutefois que l’on aura l’occasion de lire un autre livre, plus abouti, de cet auteur prometteur.
Attica Locke, Marée noire (Black Water Rising, 2009), Gallimard, Série Noire, 2011. Rééd. Folio Policier, 2013. Traduit par Clément Baude.
Du même auteur sur ce blog : Dernière récolte ; Pleasantville ; Bluebird, Bluebird ; Au paradis je demeure ;