Pleasantville, d’Attica Locke
Auteur peu prolixe mais dont on commence à attendre avec curiosité les nouveaux romans, Attica Locke revient chez nous après quatre ans d’absence. Et elle n’est pas seule puisqu’elle a la bonne idée d’être accompagnée dans Pleasantville par Jay Porter, avocat à Houston et ancien militant des droits civiques, qui était le héros de son premier roman, Marée noire.
Quinze ans après les événements contés dans ce premier livre, on retrouve donc Porter à la veille des élections municipales de 1996. L’avocat qui, sans jamais avoir été vraiment flamboyant, est au moins resté quelqu’un d’admiré du fait de son investissement auprès de la population du quartier de Pleasantville et grâce aux combats qu’il a engagés contre quelques firmes multinationales n’est presque plus que l’ombre de lui-même. Veuf depuis peu, dépassé par la gestion de sa vie de famille, embourbé dans d’interminables tractations avec les dirigeants d’une entreprise responsable d’un accident industriel qui a touché Pleasantville, Jay Porter est sur le fil, pas loin de jeter l’éponge. Et si on lui montre encore du respect, il fait peu de doutes que les clients qu’il représente et pour lesquels il tente d’obtenir une indemnisation honorable sont près de le lâcher.
La disparition dans le quartier d’une jeune fille, bénévole pour une équipe électorale, puis l’accusation portée contre le directeur de campagne de l’un des candidats à la mairie originaire de Pleasantville vont bousculer l’avocat, le pousser dans ses retranchements, et le pousser à sortir la tête de l’eau pour tenter d’obtenir un semblant de justice.
Estampillé thriller, Pleasantville tient en fait bien plus du roman noir social et politique et du procedural que du roman censé faire frissonner le lecteur et le pousser à tourner frénétiquement les pages. Les adeptes de cliffhangers haletants passeront donc leur chemin. Ceux qui, par contre, aiment les romans qui prennent le temps d’installer intrigue et personnages et qui cherchent à démonter minutieusement les rouages d’une société trop belle pour être vraie devraient par contre y trouver leur compte.
Car s’il y a Jay, il y aussi et surtout Pleasantville. Enclave de la classe moyenne noire de Houston peu à peu investie par la population latina, le quartier tient de la communauté un peu trop lisse et qui, par ailleurs, abandonne peu à peu ses idéaux. Fondée par des noirs pour des noirs au moment de la lutte en faveur des droits civiques, Pleasantville est aussi la création d’un homme, Sam Athorne, bienfaiteur omniprésent et presque omniscient qui tient de plus en plus du seigneur féodal, dispensant ses largesses aux fidèles, enfonçant si besoin ceux qui le déçoivent. Il est aussi le père du premier candidat noir en passe de remporter les élections et le grand-père du directeur de campagne accusé de l’enlèvement de la jeune Alicia Nowell. Enfin, Pleasantville, quartier engagé, est donc devenu peu à peu une enclave dont les habitants ont laissé derrière eux leurs anciens idéaux et ne cherchent plus que le calme auquel ils estiment avoir droit.
C’est de cette communauté figée, un peu craintive face à son envahissement par une autre classe moyenne, hispanique celle-ci, qu’Attica Locke fait à travers ce roman le portrait grinçant et parfois même mordant. Partagée entre une réelle empathie et un non moins réel questionnement sur l’évolution de cette population passée peu à peu de la révolte des années 1960-1970 à l’embourgeoisement et à la recherche de la meilleure manière de garder ses privilèges, Attica Locke bouscule un peu les clichés et pointe les petites lâchetés et renoncements dont Jay Porter n’est pas la moindre des incarnation même si, au fond, il est sans doute celui qui cède le moins à ce mouvement, tout simplement parce que son travail qui est aussi sa vie dépend de la solidarité dont doit faire preuve sa communauté.
Et puis il y a aussi, bien entendu, toute la description d’un système électoral où tous les coups bas semblent permis, dont certains préfigurent de l’avis d’Attica Locke l’élection présidentielle de 2000 et l’arrivée au pouvoir de George W. Bush. La collusion entre entreprises, notables et politiques, accentuée encore ici par le fait que les deux gros candidats à la mairie sont l’ancien chef de la police et le procureur, est ainsi mise en relief par le récit d’Attica Locke qui, pour montrer tout cela, ne sacrifie toutefois en rien à l’efficacité et à la construction de son intrigue. Prenante en tous points – de l’enquête de Jay Porter à la mise en place du procès en passant par les aspects de la vie personnelle agitée du héros – celle-ci se découvre avec une certaine délectation, sans grands effets de manche, en prenant son temps et, surtout, toujours avec intelligence. Un roman stimulant.
Attica Locke, Pleasantville (Pleasantville, 2015), Gallimard, Série Noire, 2018. Traduit par Clément Baude. 516 p.
Du même auteur sur ce blog : Marée noire ; Dernière récolte ; Bluebird, Bluebird ; Au paradis je demeure ;