Dernière récolte, d’Attica Locke

Publié le par Yan

dernière récolteMarée Noire, premier roman remarqué d’Attica Locke, laissait entrevoir de belles qualités chez cette jeune auteure – en particulier dans ses évocations de la lutte en faveur des droits civiques des Noirs aux États-Unis – mais souffrait par ailleurs de défauts patents, notamment une intrigue pour le moins confuse. C’est donc avec curiosité que l’on attendait ce deuxième livre, histoire de meurtre dans une plantation de Louisiane devenue musée et dans laquelle, une fois encore, Attica Locke entend faire entrer le présent en résonnance avec le passé.

En effet, Caren Gray, héroïne de cette Dernière récolte, descendante d’esclaves attachés à la plantation Belle Vie revenue en ces lieux afin de les gérer pour la famille Clancy, se trouve confrontée au meurtre d’une immigrée clandestine employée dans les champs de canne à sucre loués par une grande entreprise sucrière autour de Belle Vie. Alors que la police cherche le coupable idéal, Caren soulève peu à peu un voile derrière lequel se bousculent bien des souvenirs enfouis et une histoire beaucoup moins lisse que celle que présente la troupe d’acteurs de la plantation dans son spectacle destiné aux touristes.

La réussite d’Attica Locke tient avant tout à cela. À cette façon de montrer, à travers les comportements de chacun des employés et habitants de Belle Vie, que tous portent la marque, malgré les décennies et générations qui sont passées depuis la création de la plantation, d’un conditionnement social profondément ancré en eux. Les employés noirs issus des environs mais qui ne sont pas liés directement à Belle Vie se considèrent encore par bien des aspects comme des esclaves et expriment une rancœur qui ne semble pas près de s’effacer ; Caren oscille entre l’attachement aux lieux, la reconnaissance envers les Clancy qui ont pris soin de sa famille mais, ce faisant, tend à se placer comme un de ces « oncle Tom », plus vraiment noirs mais loin d’être blancs, tandis que les Clancy jouent de leur réputation progressiste sans bien voir combien elle dissimule mal un paternalisme pesant, voire odieux. Dans ce lieu isolé et comme coupé du monde, ceux qui viennent de l’extérieur, qu’il s’agisse d’Eric, l’ex-mari de Caren, ou du journaliste Owens, ne font que tendre à Caren un miroir cruel dans lequel elle refuse obstinément de regarder jusqu’à ce que les événements ne l’y forcent.

Grâce à cette dramaturgie bien maîtrisée et à ces personnages bourrés de contradictions, Attica Locke parvient à faire de Dernière récolte un roman prenant et ingénieux qui s’appuie par ailleurs sur une première partie particulièrement tendue dans laquelle les comportements de Caren et de Morgan, sa fille, que l’on sent l’une comme l’autre aux limites de la schizophrénie, intensifient l’atmosphère de mystère qui plane sur Belle Vie.

Pour cela mais pour cette peinture des mœurs politiques d’un État encore par bien des aspects tributaire d’un histoire mal digérée et de comptes jamais vraiment soldés, on pardonnera à l’auteure une certaine tendance à trop vouloir jouer parfois une partition par trop fleur bleue qui n’apporte pas toujours grand-chose au roman. Voilà en tout cas de quoi passer un agréable moment de lecture.

Attica Locke, Dernière récolte (The Cutting Season, 2012), Gallimard, Série Noire, 2014. Traduit par Clément Baude.

Du même auteur sur ce blog : Marée Noire ; Pleasantville ; Bluebird, Bluebird ; Au paradis je demeure ;

Publié dans Noir américain

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P
J'avais bien dormi sur le premier, j'ai continué ma sieste sur le deuxième, j'ai beaucoup de mal avec son écriture. Et puis la lire après Gautreaux... (quelle merveille celui-ci!) Bonne rentrée<br /> Yan.
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Y
<br /> <br /> J'avais un peu dormi sur le premier aussi, mais j'ai vraiment bien aimé celui-ci. De mon côté, après Gautreaux j'ai enchaîné sur Deep Winter et je crois que là aussi la comparaison a été fatale.<br /> <br /> <br /> <br />
T
C'était mon premier Attica Locke et j'ai bien aimé. Moi ce n'est pas le côté fleur bleue qui m'a gênée, mais j'ai trouvé qu'il y avait quelques lenteurs. Cela reste une belle découverte néanmoins!
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Y
<br /> <br /> Disons qu'il avance à un rythme moins "haletant" que beaucoup de polars actuels. Mais Locke crée une bien belle ambiance.<br /> <br /> <br /> <br />