Trois mille chevaux vapeurs, d’Antonin Varenne

Publié le par Yan

3000chevauxLes romans d’aventures se font rares et c’est donc avec curiosité que l’on a vu paraître récemment 3000 chevaux vapeurs, d’Antonin Varenne. Avec curiosité mais aussi un soupçon de méfiance. Parce qu’il y avait un serial-killer, parce que, une fois encore, on allait devoir partir aux États-Unis avec un auteur français et que, souvent, cela sent le décor en papier mâché. Mais sans doute grâce à une scène d’ouverture particulièrement bien réussie, on s’est finalement laissé embarquer aux basques du sergent Arthur Bowman, de la Compagnie des Indes, héros du roman.

Avec Bowman, Varenne, ambitieux, nous amène du delta de l’Irrawady en pleine deuxième guerre anglo-birmane en 1852 jusqu’à Londres durant la Grande Puanteur de 1858 (qui réserve là encore des pages particulièrement évocatrices et puissantes) et enfin dans l’Ouest américain à la veille de la Guerre Civile. À la recherche d’un tueur en série dont il soupçonne qu’il fait partie des survivants de l’expédition secrète qu’il a menée en 1852 en Birmanie, Bowman, rugueux policier alcoolique tiraillé par la culpabilité se révèlera décidé à faire cesser ces meurtres rituels au point s’il le faut de traverser l’océan.

Simple prétexte à faire parcourir au lecteur l’Extrême-Orient, puis un Londres étouffant et grouillant avant de s’aventurer dans les grands espaces américains, l’intrigue concernant le tueur en série se révèle finalement très accessoire, simple fil très ténu destiné à faire tenir l’ensemble et qui, contre toute attente pour le lecteur las de ce genre de crimes à répétition, y arrive sans problème. De fait Varenne, bien qu’utilisant des personnages extrêmement stéréotypés – de la brute tiraillée et inculte, enfant grandi au milieu des gangs des docks londoniens qu’est Bowman au prêcheur à l’innocence sujette à caution en passant par la femme forte et utopiste que le héros rencontrera ou l’Indien hors-la-loi qui lui sauvera la mise – réussit à les camper avec force, à les façonner de manière complexe par le biais d’actes anodins ou faussement marginaux comme ces paroles susurrées à l’oreille d’un enfant mort par le soldat Buffalo.

Et tout cela sans jamais renoncer au grand souffle épique dont il entend doter son roman. Bataille navale en Birmanie, grouillement londonien, traversée de l’Atlantique en vapeur, grève réprimée dans le sang à New York, lynchages dans le Far West…  Varenne utilise à merveille la richesse de ce XIXème siècle qui voit en l’espace de quelques décennies un ancien monde s’effondrer et un nouveau plus policé mais au moins aussi brutal se mettre en place, pour écrire un excellent roman d’aventures avec juste ce qu’il faut d’enquête, de romance, de descriptions vivantes et de quête de rédemption. Sans doute aussi cette réussite tient-elle à ce qu’Antonin Varenne, au contraire de certains des auteurs contemporains – et notamment français – qui se frottent à ce genre littéraire, évite l’accumulation de connaissances encyclopédiques et, s’il tente de rester logique et d’éviter les anachronismes, fait malgré tout aussi laisser de côté sa documentation pour lâcher la bride à son imagination et faire avancer son livre en lui insufflant cette énergie qui permet d’accrocher le lecteur.

Voilà donc un roman que l’on prend un plaisir enfantin à lire sans qu’il soit pour autant bêtement simpliste ou manichéen ; une histoire dans laquelle on se plonge avec délectation.  

Antonin Varenne, Trois mille chevaux vapeurs, Albin Michel, 2014.

Du même auteur sur ce blog : Fakirs ; Le mur, le Kabyle et le marin ; Battues ; CAT 215 ; Équateur ;

Publié dans Western et aventures

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E
Hello EDNY.<br /> Je viens de le terminer et suis peut-être un rien plus enthousiaste que ta chronique (avec laquelle je plussoie sur beaucoup de points néanmoins). Si effectivement les personnages peuvent être au bord du stéréotype, Varenne évite tous les clichés et parvient à les rendre totalement crédibles (et surtout n'use jamais de ficelles pour pousser le lecteur à éprouver de la sympathie pour Bowman). Et je crois comme toi que l'histoire du tueur, totalement secondaire (d'ailleurs il omet volontairement par exemple la description des cadavres, passages faciles pour ne pas dire putassiers dont semblent pourtant se délecter d'autres écrivains...), traque du tueur comme ne servant presque que comme une espèce de base rassurante pour l'auteur devant l'ampleur de ce dans quoi il s'est lancé. Bref, je trouve ce bouquin bien plus solide que ses précédents et conseille simplement de se laisser emporter par son souffle.
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Y
Et moi qui trouvait ma chronique enthousiaste! C'est incontestablement un excellent bouquin d'aventures ; il y a du souffle mais aussi du fond.