Battues, d’Antonin Varenne
On avait laissé Antonin Varenne en Amérique avec un ancien soldat de la Compagnie des Indes devenu cowboy dans Trois mille chevaux vapeur, on le retrouve dans ce qui pourrait bien être la Creuse, avec un garde-chasse défiguré aux motivations troubles impliqué dans une enquête de meurtre et jouant des rivalités de deux grandes familles de propriétaires terriens.
Voici donc Rémi Parrot, personnage solitaire revenu occuper la Terre Noire, dernier vestige de la propriété familiale, coin planté en plein milieu des terres que se disputent les Messenet, gros éleveurs, et les Courbier exploitants forestiers. Ce que l’on saura très vite, c’est que le garde-chasse et Michèle Messenet, sa maîtresse, ont échappé à une tentative de meurtre et que quelqu’un d’autre a bel et bien été tué quelques jours auparavant. Ce que l’on ne sait pas, c’est qui a été tué et pourquoi, ni d’ailleurs ce que cela a à voir avec Rémi et Michèle. Une question de rivalités familiales et amoureuses ? De vieilles haines ressurgies d’une mémoire villageoise qui n’oublie rien ? Un conflit d’usage ou des tensions avec les écologistes qui vivent sur le Plateau ?
Une fois encore Antonin Varenne impressionne. D’abord par sa maîtrise d’une narration éclatée qui n’a rien d’accessoire. Jouant avec les dates, les heures, elle nous mène d’un moment à un autre, vingt ans auparavant, deux heures ou deux jours plus tard, ou dans la semaine précédente et lève à chaque fois un petit bout du voile qui repose sur cette petite ville comme isolée du monde et sur les personnages. Car si l’intrigue se révèle peu à peu, il en va de même des hommes et des femmes qui peuplent le roman d’Antonin Varenne et qui évoluent tous, Rémi compris, dans une zone grise. Ceux que l’on a pu commencer par ranger dans les catégories des bons ou des mauvais adoptent au fil du récit de nouvelles teintes et le doute s’insinue. En particulier donc autour de Rémi et de ses véritables motivations. Coincé dans ce panier de crabes, le chef de la brigade de gendarmerie, Vanberten, s’il n’a aucune efficacité réelle dans un monde où la justice tient moins du code pénal que de la loi du talion mâtinée de loi du plus fort, tient un rôle à la fois de confesseur et de maïeuticien faisant accoucher la ville de R. des péchés qu’elle porte en elle. Et puis, comme de bien entendu dans la collection Territòri, il y a la nature. Sauvage mais malmenée par les hommes, d’une âpreté qu’elle a transmise à ce qui vivent là.
Tout cela donne à Battues des allures de western chabrolien doté d’un véritable souffle sauvage qui tient la distance jusqu’à une fin qui, si elle n’est peut-être pas vraiment aussi surprenante et cuisante qu’on aurait pu s’y attendre n’en a pas moins le mérite de ne pas apporter toutes les réponses et de laisser subsister quelques zones d’ombres. Et donc voilà donc une nouvelle réussite pour cette jeune collection qui nous livre de belles histoires dans de biens beaux écrins.
Antonin Varenne, Battues, Écorce, coll. Territòri, 2015.
Du même auteur sur ce blog : Fakirs ; Le mur, le Kabyle et le marin ; Trois mille chevaux vapeur ; CAT 215 ; Équateur ;