Pas dans les clous : Fakirs, d’Antonin Varenne
Troisième roman d’Antonin Varenne, Fakirs a beaucoup fait parler une critique quasi-unanime sur ses qualités. Il en a été de même du dernier livre de l’auteur, Le Mur, le Kabyle et le Marin, qui a accumulé les critiques dithyrambiques à sa parution. Pas toujours à la pointe de l’actualité, méfiant parfois face à l’unanimité, occupé par quelques dizaines d’autres romans que j’avais envie de lire ou de relire (parce qu’on a aussi le droit de relire un livre, ce n’est pas – ou du moins pas toujours – un produit périssable), j’ai finalement laissé filer Antonin Varenne jusqu’à ce que je tombe sur l’édition en poche de Fakirs.
Dans Fakirs, au pluriel, il y a surtout un vrai fakir que l’on ne rencontrera jamais vraiment. Alan Mustgrave, américain, ancien spécialiste de la torture pour les forces spéciales américaines lors de la première guerre du Golfe, expie ses péchés en public en torturant son corps sur scène et noie sa culpabilité et son mal-être dans l’héroïne. Il expire sur la scène d’un cabaret parisien durant l’un de ses spectacles. Pour John Nichols, son seul ami, exilé au fin fond du Lot, ce ne peut-être qu’un suicide. Convoqué à Paris pour identifier le corps, il s’aperçoit qu’en fait les causes de la mort d’Alan sont autrement plus complexes.
Pendant ce temps, au 36, Quai des Orfèvres, dans un réduit sous les toits, le commissaire Guérin, placardisé au service des Suicides avec un adjoint falot, suit son intuition et ses théories erratiques pour tenter de faire la lumière sur des suicides suspects. Comme de bien entendu, les destins de Guérin et de Nichols sont amenés à se croiser.
Prenant pour point de départ un élément classique du polar – un homme cherche la cause de la mort de son ami – Fakirs dévie bien vite. Si l’intrigue est bien là, omniprésente, travaillant le lecteur, elle abandonne le devant de la scène à des personnages très singuliers : John l’américain ermite, Guérin le flic génial qui ne domine pas son cerveau qui fonctionne trop vite et qui vit avec un perroquet dépressif, Lambert le bleu devenu flic parce que son père trouvait qu’infirmier, c’est un métier de tafiole, Alan le fakir, bien entendu, les flics louches de la crime, le gardien de parc ancien taulard, la patronne de cabaret, l’artiste-peintre qui s’enduit de peinture avant de coller les hommes au mur… Autant de personnages dont le rapport au corps relève bien souvent de la torture et de l’automutilation, autant de fakirs, autant de freaks en puissance, qu’Antonin Varenne ne place cependant pas dans cette posture spectaculaire et dont il dresse un portrait d’une grande finesse.
De cette intrigue mettant en scène des personnages confrontés aussi bien à la violence du monde extérieur qu’à celle qui les habite, il ressort une grande noirceur qui, pour autant n’est pas déprimante (sans doute grâce à la relation tissée entre John Nichols et le gardien de parc, et à l’éphémère respect mutuel qui peut apparaître entre Guérin et son adjoint, Lambert). Le style d’Antonin Varenne, écriture précisément ciselée, intrigue parfaitement construite, sans pathos mais avec un amour pour les personnages qui suinte de chaque phrase, y est aussi pour beaucoup.
D’une intrigue qui aurait pu former la trame d’un thriller prédigéré et fade, Varenne fait un très beau roman doublé d’une réflexion originale sur le corps comme révélateur de ce qu’est l’homme et comme exutoire. Succès mérité donc, d’un auteur dont on espère que les autres romans sont à l’avenant.
Antonin Varenne, Fakirs, Viviane Hamy, 2009. Rééd. Points Policier, 2010.
Du même auteur sur ce blog : Trois mille chevaux vapeur ; Le mur, le Kabyle et le marin ; Battues ; CAT 215 ; Équateur ;