Le mur, le Kabyle et le marin, d’Antonin Varenne

Publié le par Yan

Le mur le kabyle et le marinAvec Le mur, le Kabyle et le marin, Antonin Varenne, quelques temps après Fakirs, remet en scène des personnages aux corps et aux esprits torturés. C’est en 2009 que l’on rencontre le premier, Georges Crozat, dit le Mur, policier mais surtout boxeur en fin de course qui doit son surnom à son extraordinaire capacité à encaisser les coups. Le deuxième, c’est Pascal Verini. En 1957, ce jeune ouvrier de Nanterre issu d’une famille communiste est appelé en Algérie. Affecté à un dispositif opérationnel de protection, un DOP, c’est-à-dire avant tout un centre de torture, Verini refuse de prendre part aux interrogatoires et aux corvées de bois qui s’ensuivent parfois.

Après un combat particulièrement âpre qui le laisse aussi perclus de douleur que déprimé, Crozat accepte, afin de pouvoir continuer à financer ses nuits avec des prostituées, de passer à tabac des hommes que lui désigne un commanditaire anonyme. Le chemin sur lequel il s’engage alors va l’amener à croiser le chemin d’un vieil arabe et, au bout du compte, celui de Pascal Verini.

Constitué de deux grandes parties, une première mettant en scène, chacun à leur époque, Crozat après son combat contre le jeune Gabin, et l’appelé Verini en poste au DOP Rabelais et une seconde qui voit les deux hommes se croiser, voire se confronter, un demi-siècle après le retour de Verini, Le mur, le Kabyle et le marin est un roman noir d’une facture plutôt classique et qui laisse assez peu de place au suspense puisque la rencontre semble immuable et que les motivations du commanditaire de Crozat, pour obscures qu’elles soient au départ, on tôt fait de commencer à émerger.

Ce qui fait de ce roman un livre à part, outre le sens aigu que possède l’auteur d’une narration efficace qui apparaît dès l’impressionnante première scène qui propulse le lecteur sur le ring avec Crozat, c’est la délicatesse dont sait faire preuve Antonin Varenne lorsqu’il s’agit d’aborder l’intime, particulièrement s’agissant des sentiments de l’appelé Verini, et de le confronter à l’Histoire. Une Histoire dont Varenne montre comment elle ne cesse de ressurgir malgré le soin avec lequel on cherche – et ce « on » s’applique autant à l’État qu’aux hommes qui ont vécue la guerre d’Algérie sur le terrain et participé à l’Histoire – à l’oublier, à l’enterrer.

En les menant d’un ring de Juvisy ou du DOP Rabelais jusqu’à un ultime road trip intergénérationnel oscillant entre drame et humour et à la possibilité d’une vengeance, Antonin Varenne offre à ces personnages la possibilité d’un apaisement qu’ils saisiront peut-être. Ce faisant, il livre un roman tout en nuances qui sait sonner juste, tenir le lecteur et même le pousser à réfléchir. Ça n’est pas le cas de tous les romans et cela vaut donc le coup d’être relevé.

Antonin Varenne, Le mur, le Kabyle et le marin, Éditions Viviane Hamy, 2011. Rééd. Points Roman Noir, 2013.

Du même auteur sur ce blog : Fakirs ; Trois mille chevaux vapeur ; Battues ; CAT 215 ; Équateur ;

Publié dans Noir français

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