Washington noir
Les éditions Asphalte continuent la publication de leurs « villes noires ». En attendant La Havane et après Haïti, direction Washington pour un recueil sous la direction de l’écrivain de romans noirs le plus étroitement associé à la capitale américaine, George Pelecanos qui, outre une préface, se fend aussi (sans trop se forcer, tout de même) de la nouvelle qui ouvre ledit recueil.
Mais, si la nouvelle de Pelecanos, où il assure le minimum syndical, n’est pas à proprement parler transcendante, l’ensemble de l’ouvrage se révèle de fort bonne tenue.
C’est qu’il y a de la matière pour un écrivain dans cette ville polymorphe, cosmopolite, où l’on croisera, outre les habituels gangsters et politiciens, des prostituées moldaves ou des vendeurs à la sauvette nigérians (étonnante « La ruelle de Salomon », de Robert Andrews).
Mais ce qui ressort vraiment de ce recueil, c’est l’opposition constante entre des mondes forcés de cohabiter. À travers la gentrification des anciens quartiers populaires d’abord, au centre en particulier de deux nouvelles adoptant deux points de vue différents : dans « À l’Est du soleil », Jennifer Howard met en scène une mère de famille de la classe moyenne supérieure installée dans un quartier « en mutation » et qui va commettre involontairement une bourde tragique lui rappelant cruellement qu’elle ne peut pas faire comme si l’économie parallèle et les habitants plus anciens des lieux n’existaient pas ; à l’inverse, chez David Slater (« Un pourboire »), c’est un cuistot qui, toute une journée durant se trouve confronté aux jeunes crétins arrivistes qui envahissent son quartier alors que lui-même risque d’en être expulsé. Slater fait habilement monter la tension jusqu’à l’éclatement final. Autre oppositions et des mœurs pas bien différentes en fin de compte chez le vétéran James Grady mettant en scène dans « Le principe fondamental » le conseiller d’un sénateur idéaliste confronté à un lobbyiste… où l’on voit que les engagements sont à géométrie variable mais que, pour ceux qui ont encore une once d’humanité, les tentations qui entraînent les reniements ne sont pas forcément évitables mais peuvent finir par devenir insupportables. Tout se paie… d’une manière ou d’une autre.
On ne fera pas un tour complet de toutes les nouvelles de ce recueil qui si elles ne se valent pas toutes forment au moins un tout parfaitement cohérent et nous éclairent sur la ville et ses dessous et nous révèlent des auteurs que l’on ne connaissait pas encore et que l’on aurait plaisir à retrouver, que ce soit sur ce format court ou au travers de romans. Un plaisir de lecture, à picorer ou à envisager comme un ensemble habilement construit.
Washington noir (D.C. Noir, 2006), nouvelles présentée par George Pelecanos, Asphalte, 2013. Traduit par Sébastien Doubinsky.