Le bon père, de Noah Hawley
Rhumatologue de renom, Paul Allen apprend un soir, en regardant la télévision dans sa maison du Connecticut avec sa seconde épouse et leurs deux enfants, que Jay Seagram, candidat démocrate à l’élection présidentielle et porteur de grands espoirs de changements pour l’Amérique a été abattu lors d’un meeting à Los Angeles. Lorsque deux agents des services secrets sonnent quelques minutes plus tard à sa porte, Paul Allen apprend que non seulement l’assassin a été arrêté mais qu’il s’agit en plus de Daniel, son fils aîné issue d’une première union. Dès lors, Paul veut faire la lumière sur les derniers mois de la vie de Daniel afin de pouvoir l’innocenter… à condition bien sûr qu’il soit innocent, ce dont seul Paul semble être persuadé.
Poignante quête d’un père à la recherche désespérée de l’innocence de son enfant, Le bon père, de Noah Hawley est un roman singulier qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses.
S’il prend la forme d’un roman d’enquête visant à éclairer un éventuel complot qui aurait eu pour but de faire accuser un innocent, le lecteur à tôt fait de se rendre à l’évidence : l’auteur n’est pas là pour le brosser dans le sens du poil et mettre en avant l’innocence présumée de Daniel. Tout l’accuse et la raison ne peut que nous amener à croire à la culpabilité du jeune homme là où, pour Paul Allen, rien ne peut vraiment convaincre de sa culpabilité. Car Daniel est son fils et qu’il a toujours été pour lui un enfant puis un jeune adulte équilibré. Car reconnaitre la culpabilité de Daniel, se serait sans doute aussi reconnaitre sa culpabilité propre, parce qu’il l’a – même si ce n’est que de loin en loin – élevé, parce que la manière dont il l’a éduqué ou celle dont il ne s’est pas toujours occupé de lui sont de sa responsabilité.
La question se pose donc pour Paul Allen : « Ai-je été un bon père ? Aurais-je pu être un meilleur père ». Car face au drame, Allen, homme équilibré qui s’est longtemps targué d’avoir un fils particulier, certes, mais libre, remet en cause le libre arbitre de son enfant. S’il a commis un acte odieux, ce ne peut être que la faute de quelqu’un d’autre ; un complot, ou, à défaut, une éducation sans doute ratée à un moment ou un autre. Daniel perd dès lors toute indépendance aux yeux de son père pour n’être que le produit d’une éducation ou, pire, un objet manipulé par des forces obscures.
En développant l’histoire de cette quête de vérité que l’on sent vouée à l’échec, Noah Hawley aborde par ailleurs, au travers de chapitres revenant sur quelques célèbres meurtres ou tentatives de meurtres (Bobby Kennedy, Ronald Reagan, Virginia Tech ou l’université du Texas) dans lesquels Paul comme Daniel cherchent une explication aux actes de ce dernier. Une façon de parler de la manière dont une société armée jusqu’aux dents, où l’individu prime mais où il est parfois isolé et en butte à un système dans lequel il ne peut s’intégrer, transforme des citoyens en assassins.
Tout cela est fait avec une finesse et une certaine élégance qui n’est pas sans rappeler parfois Thomas H. Cook et donne un roman noir tout en nuances, avec un certain suspense, mais avec surtout des questions destinées à rester longtemps en suspens.
« Quand il avait sept ans, il était fou de sa balançoire. Il poussait sur ses pieds et pointait les talons vers le ciel en criant : « Encore ! Encore ! » C’était un enfant vorace, infatigable et tellement vivant qu’à côté de lui tout le monde paraissait malade, immobile. La nuit, il se couchait sur son lit défait, à moitié habillé, le front plissé, les poings serrés, comme une tornade qui n’aurait plus d’air. Qui était ce petit garçon et comment devint-il un homme jouant avec des balles de pistolet dans une chambre de motel ? Qu’est-ce qui le poussa un jour à plaquer sa vie tranquille pour commettre un acte barbare ? J’ai lu les rapports. J’ai regardé les images. Mais la réponse continue de m’échapper. Plus que tout, je veux savoir.
Car voyez-vous, je suis son père.
C’est mon fils. »
Noah Hawley, Le bon père (The Good Father, 2012), Gallimard, Série Noire, 2013. Traduit par Clément Baude.