Du polar, de François Guérif

Publié le par Yan

dupolarCollection devenue mythique, Rivages/Noir (puis Rivages/Thriller pour les grands formats) méritait bien que l’on s’attarde sur son fondateur. C’est chose faite avec ce livre d’entretiens entre Philippe Blanchet côté interviewer et François Guérif.

Si l’on n’échappe pas à l’exercice d’autopromotion à légère tendance hagiographique (il s’agit tout de même d’un livre sur et en grande partie par Guérif et sur Rivages publié chez Payot), le lecteur curieux des choses de l’édition et surtout d’une tranche de l’histoire du polar et de sa diffusion en France y trouvera largement son compte.

Passionnant, mené comme une discussion à bâtons rompus, Du polar aborde autant le travail de libraire et d’éditeur de François Guérif, depuis la librairie Au troisième œil jusqu’à Rivages, en passant par Red Label, que la vision que peut avoir l’éditeur et amateur éclairé du polar français d’après-guerre,  du néopolar, du polar anglais, des problèmes de traduction ou de la figure du détective. Bref, une succession de chapitres stimulants où les petites anecdotes viennent éclairer le propos plus général, pimenter le discours et où l’on voit se dessiner le paysage complexe de l’édition de polar de ses quarante dernières années et la façon dont Rivages a participé de sa transformation.

Surtout, François Guérif revient inlassablement sur les auteurs qu’il aime : Goodis, Thompson, Robin Cook, Robert Bloch, Fredric Brown, James Cain, Pierre Siniac, Edward Bunker… Ellroy bien sûr auquel Rivages doit tant et réciproquement. On apprend, on se passionne, et on se dit que ce bouquin est une formidable publicité pour les éditions Rivages (c’est simple, à peine l’a-t-on lu que l’on a déjà acheté pas loin d’une dizaine de romans évoqués par Guérif).

Bien sûr, on pourra reprocher cette forme d’autopromotion et regretter que François Guérif oublie de préciser que le retour de Kenzie et Gennaro était loin d’être à la hauteur des précédents volumes de la série de Lehane, qu’il omette de parler de certains auteurs à notre avis marquants comme Charles Willeford ou Tim Dorsey (ben oui, quand même) et d’autres dont il doit avoir envie d’oublier qu’il les a édité (Helen Knode, bon sang…), mais le fait est que l’on se laisse emporter avec plaisir par la passion de Guérif, sa fidélité à ses auteurs (on pense notamment à Cesare Battisti) et à ses idées sur le polar, son opiniâtreté à défendre James Cain, Goodis, Thompson ou Siniac…

Du polar se lit d’une traite, avec délectation et se révèle être un document de valeur pour tout amateur de roman noir, qu’il désire élargir le champ de ses lectures, s’interroger sur cette littérature (quitte à ne pas être toujours d’accord avec l’auteur dont on se dit qu’une discussion avec lui doit être en tout point passionnante), tout comme pour le néophyte qui trouvera là de quoi se constituer une bibliothèque idéale pour se familiariser avec le genre.

François Guérif, Du polar. Entretiens avec Philippe Blanchet, Payot, 2013.

Publié dans Divers

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L
C'est après lu ce post que j'ai dévoré ces entretiens de F.Guerif. Et c'est avec une certaine perversité que je n'hésiterai pas à l'offrir en cadeau: comme avec le magistral "Guide des 200 romans<br /> FNAC" (qui en fait en contenait plus de 1000) paru en 2005, la lecture de ce témoignage appelle l'achat de nombreux autres livres (la ruine quoi!). Pour ma part, j'ai réellement découvert avec ce<br /> livre l'artisan des Editions Rivages: le catalogue qu'il a créé de toute pièce est vraiment très impressionnant. C'est tellement fort que j'aurais apprécié que d'autres thèmes soient abordés: les<br /> auteurs qu'il aurait refusé de publier et à côté desquels il serait passé (quand on découvre que ça été limite avec les premiers Lehane et Bunker...); le regard qu'il porte sur les nouveaux venus<br /> de l'édition(Gallmeister en particulier...); l'évolution sociologique du lectorat des années 90 lassé du formalisme des Editions de Minuit influençant l'ensemble de la production littéraire et<br /> rébuté par l'apparition de l'autofiction donc mûr pour le choc Ellroy; les liens entre polar et musique à l'instar du cinéma qu'il décrypte remarquablement; l'apparition et l'influence des réseaux<br /> sociaux (sans les blogs je serai par exemple passé à côté du Donald Ray Pollock publié chez Albin Michel)...bref, j'ai l'impression que P.Blanchet et FG ont sous-estimé l'intérêt que pouvait avoir<br /> ce livre et leurs propos passionnants car passionnés...
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Y
<br /> <br /> En effet, le livre est ruineux de par les achats qu'il induit. Et il est aussi frustrant pour les raisons que vous évoquez. Bref, on en reprendrait bien un deuxième volume sachant que nous<br /> n'avons là qu'une infime partie des entretiens entre Blanchet et Guérif.<br /> <br /> <br /> <br />
S
Je rejoins l'avis de Tasha. S'entretenir avec FG de sa carrière équivaut forcément à balayer l'histoire de Rivages Noir (né en 1986, pas rien...). Du coup, je comprend que Monsieur Gallimard, ou le<br /> Seuil (pour ne citer qu'eux), soient peu emballés par un tel projet éditorial. Alors, autopromotion?... Quant à Tim Dorsey, chers Yann et Christophe, je vous trouve bien ingrats envers FG... Vous<br /> lui reprochez d'avoir omis de le citer au détour de propos (oui, certainement coupés au montage, dès lors combien d'autres auteurs victimes de ce coup bas?), alors qu'il a le mérite, LUI, de<br /> l'avoir publié. Ce grâce à quoi, vous l'avez découvert et apprécié...<br /> Amitiés.
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Y
<br /> <br /> Je le répète, je n'ai rien contre l'autopromo de Guérif, mais à quoi bon cacher que s'en est quand même un peu (il aurait par exemple pu parler de quelques choix discutables d'auteurs comme Helen<br /> Knode, mais choisit de ne pas le faire). Quant à Dorsey, il s'agissait bien entendu d'un clin d'oeil, à Christophe notamment et à tous les intégristes dorséiens qui fréquentent le blog. Bien sûr<br /> que l'on sait gré à Guérif de l'avoir édité et de nous l'avoir fait découvrir. Pareil pour Willeford, Shannon, Ellroy, Stahl, Haskell Smith...<br /> <br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> <br /> <br />
T
Je vois qu'on a les mêmes lectures! J'ai beaucoup aimé moi aussi, le côté autopromotion ne m'a pas gênée. En revanche, Rivages n'est pas toujours aussi impeccable sur les traductions qu'il voudrait<br /> nous le faire croire: quand on lit les Van de Wetering, par exemple, on est frappé de l'inconstance des traducteurs et du manque de cohérence d'un volume à l'autre... Mais bon, ça n'empêche que<br /> Guérif et THE éditeur de noir à mon sens, le plus grand depuis Duhamel, même si d'autres font un excellent travail (je trouve A. Masson très convaincant, ou Gallmeister pour ne citer qu'eux).
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Y
<br /> <br /> D'accord sur les traductions. Toutes ne sont pas à la hauteur. Et d'accord sur Gallmeister et Masson. Il est de bon ton de critiquer ce dernier et, de fait, ses choix éditoriaux peuvent porter à<br /> débat, il n'empêche qu'il suit une ligne cohérente qui correspond à ses goûts.<br /> <br /> <br /> <br />
C
Ben oui, ça fait autopromotion, mais c'est un livre qui revient sur 40 ans de publications de François Guérif qui a sorti un bon milliers de bouquins dont plus de 900 chez Rivages, ce qui laisse<br /> pantois, surtout quand on voit la qualité du catalogue ! Donc, normal que l'homme y parle de sa maison ! Mais il liste ensuite une bonne palanquée de titres qu'il aime et qu'il n'a pas<br /> édités...<br /> Le livre est vraiment passionnant et on regrette tout ce qui a du être coupé au montage<br /> Et là où je te rejoins, c'est que, effectivement, pas un mot sur Tim Dorsey et là, pour moi c'est sur, pas de Goncourt pour François Guérif !
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Y
<br /> <br /> Je n'ai rien contre l'autopromotion, d'autant plus qu'elle est méritée et que Guérif aurait tort de se la jouer faussement modeste. Il a quand même révolutionné l'édition de polars en France. Mis<br /> à part l'incompréhensible absence de Dorsey, l'autre truc qui me turlupine, c'est qu'il fait toujours référence à ce que Bunker lui a dit sur sa vie (du genre "je ne sais pas exactement comment<br /> il a rencontré Louise Fazenda") alors qu'il a publié l'autobiographie du bonhomme et qu'il n'en parle pas.<br /> <br /> <br /> <br />