Mapuche, de Caryl Férey
Mapuche, c’est avant tout l’histoire de la rencontre à Buenos Aires entre Jana, jeune sculptrice mapuche à l’histoire dramatiquement banale, de l’exil à la prostitution, jusqu’à ce qu’elle commence à s’accomplir en tant qu’artiste et en portant fièrement ses origines, et Rubén, détective rescapé de la dictature aujourd’hui au service des mères de la place de Mai. La disparition de Luz, ami travesti de Jana, et celle de Maria Victoria Campallo, jeune photographe fille d’une puissante famille portègne, vont faire se croiser ces deux personnages et leurs lourds passés respectifs et les entraîner dans une périlleuse enquête où ils vont pouvoir mesurer combien ils sont liés mais aussi combien les anciens tortionnaires bénéficient encore d’un énorme pouvoir.
Caryl Férey nous avait plutôt séduit avec Zulu ou encore La jambe gauche de Joe Strummer. On attendait donc avec intérêt son nouveau roman dont on savait depuis quelques années qu’il aurait pour cadre l’Argentine.
Peut-être en attendait-on trop. Ou peut-être a-t-on trop lu entre temps, élevant notre niveau d’exigence au fil de nos lectures. Quoi qu’il en soit, autant le dire tout de suite, la déception a été à la hauteur des attentes que l’on avait envers ce livre.
Nul doute que Caryl Férey a du métier et sait mener son intrigue et jouer à faire peur au lecteur. L’envie de tourner les pages est là, et l’on s’attache d’une certaine manière à ces personnages écorchés.
Mais cela ne peut occulter la gêne que l’on éprouve à cette lecture.
Dans la forme d’abord. Dès les premières pages, certaines tournures, certaines métaphores grandiloquentes et étranges (« Parise empoigna le corps avec des frissons de lépreux » p.12), des formules boursouflées visant à traduire les sentiments ou les dérèglements mentaux de certains personnages (« Elle tripotait son rosaire comme dans sa tête comptent les Chinois », p. 113), viennent parasiter la lecture et agacer le lecteur. Il en va de même de l’utilisation répétée de formules qui font ainsi que, par exemple, tous les anciens tortionnaires ont invariablement pris cinquante kilos (ni plus, ni moins) depuis leur retraite. À cela viennent s’ajouter des ficelles malheureusement assez courantes dans le thriller et utilisées ici à outrance, en particulier les accumulations de coïncidences qui permettent non seulement aux personnages de se rencontrer, mais aussi d’avancer tout à coup dans leur enquête ou de se sauver les uns les autres juste au moment fatidique ou l’un d’entre eux va mourir dans d’atroces souffrances. Utilisés avec parcimonie, ces stratagèmes peuvent passer inaperçus, mais Caryl Férey y recourt tellement souvent que l’on finit par les attendre, ce qui, on en conviendra, ne permet pas vraiment au lecteur de se laisser porter par le récit.
Sur le fond, ensuite. Caryl Férey, nous avons eu l’occasion encore de le lire dans une récente et intéressante interview de la revue Alibi, ne cherche pas à présenter au lecteur un simple thriller mais entend lui apprendre des choses sur l’Argentine, comme il a voulu précédemment lui en apprendre sur l’Afrique du Sud ou la Nouvelle-Zélande. Or, cet objectif didactique est loin d’être atteint. Si une part de l’histoire de l’Argentine de 1976 à la crise financière et économique du début des années 2000 est évoquée, elle apparaît bien trop souvent en tête de chapitre, comme une introduction encyclopédique, et ne se mêle que rarement – et pas toujours très adroitement – au récit lui-même. Comme si l’auteur n’avait pas vraiment su comment rattacher ce qu’il avait envie de dire, de dénoncer, à son histoire qui, paradoxalement, si ce n’est que l’héroïne est mapuche, pourrait aussi bien avoir lieu dans le delta du Mississipi ou dans l’estuaire de la Gironde. On a finalement l’impression d’en avoir bien plus appris sur l’histoire et la société argentines, en creux, en lisant Ernesto Mallo ou Raul Argemí.
Toujours sur le fond, on peine parfois à comprendre l’utilité de certaines scènes ultra-violentes décrites avec une certaine délectation, comme s’il fallait que le lecteur s’y complaise et comprenne bien combien les méchants sont méchants et combien ils sont bien punis.
Bref, on l’aura compris, Mapuche nous a laissé un goût amer. Celui de la déception, on l’a dit, face à un roman dont on attendait peut-être trop. L’impression donc, d’avoir en quelque sorte été trompé sur la marchandise. On aurait voulu un polar efficace et instructif et l’on n’est qu’à moitié servi. On a appris un tout petit peu et si l’action et la tension constantes font que l’on ne s’est pas ennuyé, les grosses ficelles permettant de dénouer l’intrigue et le style parfois agaçant de l’écriture ont fait que l’on n’a jamais pu se faire embarquer dans cette histoire.
Au final, alors que l’on a pu lire depuis quelques mois de nombreuses chroniques extrêmement élogieuses, on se dit que soit l’on est passé à côté de quelque chose soit Mapuche est un roman qualitativement dans la moyenne de ce qui est aujourd’hui édité dans le domaine du noir mais qu’il a su tirer sur la corde sensible d’une grande partie du public. Une corde sensible dont, d’évidence, nous n’avons pas été doté.
Pour d’autres points de vue, on peut aller voir du côté de chez Jean-Marc sur Actu du noir, du Vent Sombre ou de Polar Noir.
Caryl Férey, Mapuche, Gallimard, Série Noire, 2012.
Du même auteur sur ce blog : La jambe gauche de Joe Strummer, D’amour et dope fraîche ; Plus jamais seul ;