Côté cour, de Leandro Ávalos Blacha
Il se passe de drôles de choses dans les cours et les caves de ce quartier, autour de l’antenne téléphonique installée par la toute puissante firme téléphonique Phonemark. Les familles accueillent des prisonniers chez elles histoire de pouvoir joindre les deux bouts et envoyer le nombre règlementaire de SMS, et si certaines arrivent à sympathiser avec leurs drôles de locataires en cage, d’autres en font leurs souffre-douleurs et certains en profitent pour organiser des combats entre détenus et chiens. Il y a de moins en moins de naissances, de plus en plus de morts et de disparitions, de drôles de poupée faites à partir de têtes réduites qui semblent prendre vie, les femmes sont affligées de calvitie… bienvenue chez Leandro Ávalos Blacha.
On avait fait connaissance avec ce jeune auteur il y bientôt deux ans par le biais de Berazachussets, déjà pas mal déjanté dans son genre, et Côté cour vient confirmer tout le bien que l’on pensait de lui. En l’espace de 150 pages et de cinq chapitres que l’on peut tout aussi bien considérer comme cinq nouvelles percutantes, stupéfiantes et non dénuées d’une certaine poésie, Leandro Ávalos Blacha nous fait découvrir un monde sous la coupe d’un opérateur de téléphonie mobile qui a réduit ses clients en esclaves et même bouleversé les lois de la nature et le concept même de vie.
La plume toujours acérée, et avec un art consommé de la satire sociale Ávalos Blacha décrit un monde – le notre finalement, ou pas loin – où, s’ils vivent constamment dans la crainte de ce que pourrait leur faire la firme qui les domine et les oppresse, les gens (on ne peut clairement plus parler de citoyens), ont finalement glissé vers l’acceptation d’une situation qui n’est plus jamais remise en cause. Point de rébellion ici ; si l’on essaie toujours de gruger un peu Phonemark (en hébergeant par exemple sa famille chez soi), il s’agit seulement d’améliorer un peu sa propre situation et l’on ne prendrait pas le risque de ne pas recharger ses crédits de SMS. Seules les grands-mères, vestiges d’un autre monde, font encore preuve d’un véritable esprit de solidarité et de compassion là où les jeunes générations tentent seulement de survivre et de consommer avant l’extinction de l’espèce.
On rigole. On frémit aussi à la lecture de ce roman à mi-chemin entre le fantastique et la dystopie, et l’on se dit surtout que Leandro Ávalos Blacha fait partie, avec Leonardo Oyola, autre découverte des éditions Asphalte, de ce qui se fait de mieux dans la jeune génération d’écrivains argentins nourris au sein de la pop culture, de la série Z et de la crise économique et qui nous propose une littérature grave tout autant que déjantée et revigorante.
Leandro Ávalos Blacha, Côté cour (Medianera, 2011), Asphalte, 2013.Traduit par Hélène Serrano.
Du même auteur sur ce blog : Berazachussets ; Malicia ;